Hervé Leuwers, spécialiste de la Révolution et de la société judiciaire des XVIIe et XVIIIe siècles, est professeur à l'université Lille 3. Il a déjà publié L'Invention du barreau français et La Révolution et l'Empire. Son étude, sobrement intitulée
Robespierre, analyse dans le détail le parcours, l'homme et les idées de celui qui plus de deux cents après sa mort continue encore de fasciner.
Vivant et même enterré,
Robespierre ne laisse personne ou presque indifférent. L'auteur écrit : « Il y a eu les pour, il y a eu les contre. Il y a ceux qui ont vu en
Robespierre un pur démocrate, un ami du peuple prêt au sacrifice suprême, mais injustement calomnié, dont le message reste un espoir pour les générations futures ; ils l'ont perçu comme l'Incorruptible, l'homme qui a revendiqué le suffrage universel masculin, l'abolition de la peine de mort, la reconnaissance du droit à l'existence. A l'opposé, il y a ceux qui l'ont considéré comme un révolutionnaire insensé, un criminel insensible, le premier responsable de la Terreur, un monstre à rejeter dans l'enfer de la mémoire nationale ».
Où se situe la vérité ? Pour l'historien ou les passionnés d'histoire, il semble particulièrement difficile de trancher, car souvent, lorsqu'on aborde le passé - notamment les événements survenus dans notre pays à partir de 1789 - le sentimentalisme, l'émotionnel, guident les réflexions, et disons-le sans détour, dans le domaine intellectuel ils sont de biens mauvais conseillers.
Leuwers ne tombe pas dans ces pièges grossiers et même grotesques, car il sait rester factuel tout au long de son livre. Les sources s'avèrent nombreuses et variées. La bibliographie se montre tout à la fois d'une grande exhaustivité et remarquablement pertinente et pratique.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, après tant d'années l'aura de
Robespierre continue de se maintenir. L'auteur note que «
Robespierre a divisé, et divise encore aujourd'hui. Il y a les pour et les contre ». A ce sujet,
Leuwers estime que « ces controverses se chargent d'enjeux politiques fréquemment vifs ; s'ils renvoient à la fracture droite-gauche, ils ne peuvent cependant s'y réduire. Ils se nourrissent aussi d'interrogations sur la nature de la république, de perceptions contrastées de ses origines, des mémoires toujours douloureuses de certains événements révolutionnaires comme la terrible guerre de Vendée et la Terreur ». Il n'est pas rare de voir dans l'espace public des hommes politiques se réclamer de sa pensée ou au contraire l'attaquer. En définitive, l'avocat de l'Artois ne cristallise-t-il pas sur lui les nombreux débats ouverts - et non clos - par la Révolution dite française ? Nous le pensons fortement…
Qui fut réellement
Robespierre ? Pour certains, il serait la « Révolution incarnée » ou la « Révolution faite homme », pour d'autres il est la « Terreur personnifiée ». L'auteur constate que «
Robespierre n'est pas un personnage comme un autre ; il est un acteur de la fin du XVIIIe siècle, certes, mais il est aussi un mythe politique, changeant, protéiforme, dont les images se forment et vivent loin des écrits universitaires ».
Leuwers rappelle encore une fois, non sans ironie, une évidence : « Il y a eu, il y a, et il y aura les pour et les contre ». Il ajoute même que les historiens ayant étudié
Robespierre « n'ont pas échappé aux débats : longtemps, leur travail a souffert d'enjeux politiques, de polémiques et de partis pris, qui ont gêné une nécessaire prise de distance ». Dans un passage très intéressant, le biographe évoque toutes les difficultés auxquelles sont confrontés les historiens dans leur travail de recherche et d'analyse. Les connaître permet de les éviter, et de mieux comprendre les embûches intellectuelles qui se dressent devant nous quand, avec eux ou à leur suite, nous désirons étudier le passé.
De fait, nous lisons avec intérêt que « l'essentiel des écrits, discours et lettres de
Robespierre a été réuni dans les onze tomes de ses Oeuvres, patiemment publiées depuis le début du XXIe siècle ; ils forment l'une des bases de ce travail. Pour proposer un autre regard, j'ai cependant souhaité renouveler le plus possible ce matériau biographique, et accorder une place majeure à la recherche et à la lecture des originaux conservés dans les archives, les bibliothèques ou les collections privées ». La volonté de
Leuwers est de s'affranchir des mythes, du mythe
Robespierre, et de combattre les images forgées par deux siècles de non-dits, de méconnaissance voire même – qui le niera ? – de propagande.
Ainsi, l'auteur ajoute que « bien d'autres inédits et témoignages précieux ont pu être intégrés à l'étude. Ensemble, ils permettent de corriger de troublantes légendes sur l'étudiant de Louis-le-Grand et l'avocat d'Arras ; non,
Robespierre n'a pas complimenté le roi au retour de son sacre ; non, il n'a pas été un avocat maudit, au ban de la société arrageoise… »
Leuwers a pris le parti « d'accorder une attention forte aux témoignages contemporains des faits, qu'ils soient favorables ou hostiles, de manière à interroger l'étrange diversité des regards portés sur
Robespierre : ils ont compté pour l'homme, qui s'est construit en partie par rapport à eux, et ils ont contribué à bâtir sa légende ». Nous reconnaissons volontiers que c'est l'un des points forts du livre.
Leuwers exprime son objectif avec une grande netteté : « Il ne s'agit pas de défendre ou d'accuser. Loin de tout éloge et de toute diatribe, il s'agit d'écarter les légendes noires ou dorées, afin de brosser le portrait d'un homme du XVIIIe siècle aux différents âges de sa vie ». Nous disons, sans flatterie aucune, que l'objectif est parfaitement atteint. Cette excellente biographie nous permet de suivre
Robespierre pas à pas et de comprendre comment un député ordinaire a fini par devenir l'un des visages de la Révolution.
Leuwers conclut : « Avant de devenir un mythe politique,
Robespierre a été un mythe vivant ».
Franck ABED
Lien :
http://franckabed.unblog.fr/..