Le sceau du secret

Comme tous les gens qui n’ont jamais vécu dans le besoin, elle demeurait persuadée que les problèmes liés à l’argent n’étaient pas de vrais problèmes.

Il n’était pas question pour elle d’accepter de l’argent de quelqu’un dont elle ne voulait plus entendre parler. Elle était institutrice dans une école pour enfants handicapés. Son salaire n’était pas faramineux, mais nous nous en sortions, et à vrai dire… je n’ai manqué de rien.

J’ai grandi, j’ai mûri, je suis devenu plus curieux. Je voulais voir des photos. Je voulais savoir où il était enterré. Et il devait bien avoir de la famille, des parents, des frères et sœurs… Je la poussais dans ses retranchements. Elle a fini par m’avouer la vérité. Tout au moins une partie de la vérité.

Elle était une grande dormeuse et se serait volontiers enfouie sous les couvertures pour finir sa nuit, cependant, en dépit de l’heure matinale, elle eut confusément conscience que quelque chose n’allait pas – ou n’allait pas la veille au soir… quand elle s’était couchée.

À vrai dire, il estimait qu’à quinze ans elle était trop jeune pour commencer la journée sur un café noir. Quand elle vivait encore sous son toit, il lui préparait tous les matins du cacao.

Elle avait connu d’autres relations amoureuses, plus mouvementées sinon passionnelles, qui toutes s’étaient achevées dans les larmes et la douleur. Elle avait trente-trois ans, et l’époque où elle se serait enthousiasmée pour de grands chavirements des sens était derrière elle. Avec Alexander, elle partageait un bonheur paisible et confiant. C’était exactement ce qu’elle voulait vivre.

On ne se choisit pas un partenaire par hasard. Et quand bien même devrait-on en souffrir…

Elle aimait coucher avec lui. Elle aimait même sa façon indifférente de lui faire l’amour. Il n’était pas dénué d’égards mais il ne répondait pas à ses besoins. Il était dans l’acte sexuel aussi éloigné d’elle qu’il l’était à tout autre instant du jour ou de la nuit. Parfois, dans les brefs moments où elle s’avouait sa dépendance, elle désespérait de comprendre comment elle pouvait être à ce point asservie à quelque chose qui n’était pas agréable, pas satisfaisant, pas même excitant et lui donnait au fond surtout le sentiment d’être utilisée.

Ça tenait forcément à quelque chose. Ça ne pouvait pas être seulement son physique séduisant, parce que des hommes séduisants, elle en rencontrait tous les jours. Et s’il possédait des qualités cachées, elle était assurément celle qui en profitait le moins. La plupart du temps, il était gentil avec elle, mais d’une façon indifférente et distante, sans s’impliquer. Elle savait que sa vie n’avait pas été facile et elle se répétait qu’il ne fallait pas chercher ailleurs la raison de son refus de s’engager et de son incapacité à instaurer des relations de réelle intimité avec elle, mais elle ne cessait d’être tourmentée par le doute.

— La dépendance que développe un être par rapport à un autre ?
— Oui, et également certaines constellations bourreau/victime qui en découlent. Ce qui est presque toujours le cas dans un rapport de dépendance entre deux êtres. Qui revêt quel rôle et pourquoi ? Quels bénéfices chacune des parties en tire-t-elle ?