p.18/Nous allâmes prendre le train pour Hanoi. C'était cent dix kilomètres à couvrir à travers le delta.Si vous désirez savoir ce que l'on voit par la portière, durant ces trois heures de trajet, vous enverrez un autre de vos collaborateurs refaire le voyage. Quant à moi, je m'effondrai dans un coin, les yeux fermés, la bouche ouverte. Par instants, à travers l'interstice de mes paupières, j'apercevais bien des rizières et de grands fauteuils de pierre qui étaient des tombeaux. Mais, loin du Tonkin, je rêvais à la Finlande. Je revoyais le temps heureux où, vêtu de peaux de bête domestique, je claquais des dents et pigeais des rhumes sur la mer Blanche. Ô Laponie ! Laponie ! murmurais-je...
Je pense que chez nous, quand on est vieux, on vous cache et qu'ici on vous montre.
Si l'on mettait bout à bout les plis de leurs figures (les vieillards de Tonkin) on atteindrait du coup un nombre de kilomètres suffisant pour réunir, à travers l'Annam, le Tonkin à la Cochinchine. Les sièges des quatre sens qui élisent domicile dans le visage sont tous descendus d'un étage. Les yeux sont sur les joues, le nez sur la bouche, la bouche au menton et les oreilles fendues à la mâchoire inférieure. On voudrait s'approcher d'eux, leur prendre la peau du front, remonter tout l'ensemble et leur dire, un fois l'épingle fixée :" Là, comme ça ! N'y touchez plus !"
Le ventilateur brasse de l'air chaud. "Plus vite ! plus vite !", crie-t-on au sublime pousse, mais ce n'est pas une brise qui vous frôle le visage, c'est une flamme qui vous lèche.
L'Annamite est un gentil peuple. Il a tort de se laquer les dents en noir, mais c'est un gentil peuple quand même.
Nous venions de jeter l'ancre au Tonkin, le long d'un quai de Haiphong, sur le fleuve Rouge. J'ai vu des fleuves bleus qui étaient jaunes, des fleuves jaunes qui étaient bleus ; le fleuve Rouge, lui, était rouge. Il était rouge comme s'il charriait de la poudre de brique. Mais il ne charriait rien, il ne bougeait pas, il avait bien trop chaud.