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Critique de Dandine


Malcolm Lowry me fascine. Sa vie est impressionnante autant que son oeuvre. Derriere le masque de la fiction romanesque son perpetuel etat de detresse etreint le lecteur, le tenaille. Sous le volcan, son chef-d'oeuvre, prophetisait les modalites de son propre suicide. Parce que sa mort n'a pas ete un accident, comme on prefere la presenter, mais bien un suicide a mon avis, annonce de longue date, muri dans l'alcool, comme celle de Joseph Roth avant lui. Et ce livre, le voyage infini vers la mer Blanche, est pour moi une relation de sa jeunesse, ses essais de donner une direction a sa vie, ses quetes de sens, ses reves et ses desillusions. le titre original, In ballast to the White Sea, A vide vers la mer Blanche, est plus approprie. Il part a vide, vers un but lointain, ou il pourra enfin pressentir un avenir. En fait il n'est pas sur de la destination du bateau (il, c'est le heros du livre, Sigbjorn, mais pour moi c'est Lowry lui-meme), Arkhangelst ou la Norvege? Il va charger du bois ou rencontrer un ecrivain qu'il admire? Un ecrivain qui a ecrit le meme livre que lui, mais avant lui, et beaucoup mieux? le destin l'amenera en fin de compte a l'ecrivain.


En fait Lowry se raconte et se romance. Jeune, il admirait un auteur norvegien, Nordahl Grieg (que dans ce livre il nomme Erikson), et son livre “Le navire poursuit sa route”. Il s'est vraiment engage dans un cargo pour aller le rencontrer. Il voulait ecrire comme lui, le copier, le plagier, transposer son livre pour la scene. Et il a reellement fait ca plus tard, avec “Ultramarine”, qui s'affiche ostensiblement comme une reecriture du livre de Grieg, et meme un peu avec ce livre-ci.


Lowry est obnubile par Grieg. Et par Melville. Herman Melville, le grand ecrivain de la mer. Il y a enormement d'allusions a Melville. Des citations. Des plagiats de certains passages. Plus que ca: il se met dans ses pas. Sigbjorn, son heros, refait a Liverpool la trajectoire de Melville, et sa rencontre avec Hawthorne. Il boit dans la taverne ou a bu Melville: The Baltimore Clipper. Il repense les pensees de Melville. Il reve comme lui de visiter la Terre Sainte. de partir. Partir. Ne pas rester longtemps sur la terre ferme. Melville est pour Lowry le grand apotre, celui qui montre la voie, celui qui donne l'exemple. Et la fixation de Lowry avec la mer, a la suite de Melville, a la suite de Grieg, est intense, presque absolue.


Dans le livre, Sigbjorn Tarnmoor, un anglais d'origine norvegienne, se sonde. Son frere jumeau, Tor, s'est suicide et il n'a rien fait pour l'en empecher (est-ce donc un assassinat?). Son pere, armateur, est en faillite et est peut-etre responsable de la mort de nombreux marins. Sigbjorn a ecrit un livre pour s'apercevoir, trop tard, que quelqu'un d'autre l'a deja ecrit, et mieux que lui. Il ne sait que faire, vers ou se tourner. Tout a deja ete fait, tout a deja ete ecrit. Il tangue, en fait tout le livre tangue entre l'Appel au large de Melville et l'amortissement rapide du voyage, a l'instar du “A rebours” de Huysmans. Il decide de s'embarquer comme soutier sur un cargo pour avoir le temps, en s'abrutissant au travail, de se chercher, de se comprendre, de decider de sa voie dans la vie. de se fuir? de fuir son entourage? Est-il un lache? La plus grande partie du livre est composee de dialogues, de discussions legerement philosophiques qui traitent de cette decision. Avec son frere, son pere, une amie (sa fiancee?) qui le quitte pour partir en Amerique, avec des rencontres de hasard. Toutes ces discussions ne l'aident en rien, au contraire, elles ne font que le torturer, qu'approfondir ses doutes. Quand, en fin de compte, il embarque et arrive en Norvege, il reussira a rencontrer son ecrivain. Ils parleront. Il croira pouvoir conclure leurs debats en disant: “J'ai decouvert que l'homme peut renaitre". Mais l'autre lui retorquera: “Mais tu as aussi decouvert que dans la vie seulement peu de gens sont importants. Et il se peut que tu ne sois pas l'un d'eux…”. Tout est a repenser, sinon a refaire…


Tous ces denses dialogues sont destructures par des descriptions tres pointilleuses des environs de l'universite de Cambridge, de la vieille ville et le port de Liverpool (c'est a tracer une carte exacte, du King's Drive jusqu'au Pier Head, de la place de la Bourse avec la statue de Nelson jusqu'au quai de Brocklebank, ou tous les pubs seraient soigneusement indiques), du petit port de Preston, envahi par des decharges sauvages de ferraille et autres debris industriels, mais aussi de la campagne, du paysage agricole du Lancashire, vu d'avion ou des fenetres d'un train.


C'est donc un livre tres touffu. Une foret. D'une lecture tres ardue. On peut s'y perdre. C'est peut-etre du au fait que Lowry ne l'a pas fini et qu'il pensait peut-etre le retravailler. Mais le livre a ete consume dans un incendie et Lowry le pensait perdu a jamais. Il l'a beaucoup pleure. Ce n'est que longtemps apres sa mort qu'un manuscrit incomplet a ete trouve chez sa belle-mere, que des editeurs ont complete d'apres ses notes. Et on est en droit de se demander si Lowry avait vraiment oublie l'existence de ce manuscrit ou s'il l'avait sciement mis de cote, abandonne. S'il a souffert d'une amnesie aigue ou s'il a occulte deliberement l'existence du manuscrit. Ce que nous savons c'est que sa supposee disparition lui a servi a pleurer, jusqu'a sa mort, une oeuvre sur laquelle il avait travaille de tres longues annees et qu'en son esprit il portait aux nues. Mais pleurait-il sa perte ou son incapacite a la reprendre? Une maxime talmudique me taraude: “Celui qui pleure exagerement un mort pleure un autre mort". Que pleurait Lowry? Son manuscrit? Sa vie? Que cachait ce pleur? Que voulait-il signifier par cette attitude, si theatrale, et de si longue duree? Je me permets d'utiliser, en guise de reponse, la phrase de Sigbjorn qui clot ce livre: “Mon Dieu! Comment vais-je vivre sans ma detresse?”.


Ce livre est comme un marathon. Meme quand on s'y prepare, il y a des moments difficiles, des moments ou on pense decrocher, mais quand on franchit la ligne d'arrivee, le point final, on est submerge par une vague de satisfaction, de bonheur, de fierte egalement. Pour moi ce parcours aura ete evident, meme si pas aise, car Lowry me fascine. Sa vie me fascine. Son oeuvre, oeuvre/vie, me fascine. Puis-je conseiller le livre? J'hesite. A ceux qui connaissent deja Lowry? Surement, bien qu'avec des reserves, car il est loin d'atteindre les hauteurs de Sous le volcan.
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