Mais j'ai oublié une main, la première de toutes. La tienne, papa. (...)La main serré dans la mienne, tu es mort au terme d'une nuit inscrite dans un cercle d'éternité, quand dans le silence de la clinique brisé seulement par ta respiration de plus en plus lente et difficile je t'ai aimé d'une manière absolue. Comme je ne t'avais jamais aimé avant. (...)et quand tes doigts se sont dénoués des miens j'ai continué longtemps encore à sentir ta présence. Autour de moi, en moi.
Mais Stella sait qu'il y a rêve et rêve, et que certains sont des épées qui illuminent la nuit de l'éclair de leur lame, ils ne laissent aucune place pour se défendre et vident en un instant leur victime de son sang.
J'ai été très heureuse, dans ces quelques mètres carrés de la place Louvois, même s'il est difficile de définir le bonheur, à peine essaie-t-on de l'analyser qu'il se décompose, les mailles se défont. Celui-là était un cheval fou avec des bonds imprévisibles et des coups de frein pour rien, j'avais du mal parfois à suivre le rythme.
Nous nous aventurons nous aussi quelquefois dans les allées et je reste en extase devant l'horloge à eau qui égoutte ses heures mystérieuses dans l'ombre verte de la mousse:mouvement éternel des aiguilles qui donne au Temps une âme végétale tandis que les petites étoiles de soleil descendent entre les fougères se perdre dans les friselis légers de l'eau.Toujours pareille,toujours la même.
La famille comme des produits isolés faits de la même matière.Une matière qui peut donner des résultats différents,réussis,lisses et denses,ou au contraire tout hérissés d'aspérités,voire d'aspect douteux.Quelquefois,mais c'est rare,très rare même,le résultat est un produit imprévisible et merveilleux.
La fragilité bien-aimée de tes os. Ta façon de dormir un peu comme un ange, recueilli. Maigre, tu me rappelles le Christ d'Holbein couché sur la pierre. Cette nuit je me suis réveillée et les yeux ouverts dans le noir j'ai vu peu à peu se recomposer les fragments du dessin qui avait fini par se défaire année après année. Stratifications géologiques, qui marquent, comme dans les montagnes, notre vie. Les morceaux du puzzle retrouvent tout à coup leur place et laissent réapparaître l'image dans tous ses détails : recroquevillée dans ton lit, papa, pendant que tu me racontais l'histoire de la petite chèvre désobéissante ou de la grenouille qui voulait devenir aussi grosse qu'un éléphant, je me perdais dans le bonheur d'être au centre de ton regard, d'être moi l'écho de ta voix. Et qui sait, peut-être un jour aussi le coeur de ton coeur. De là aussi cette désaffection pour maman, cette irritation quand elle nous interrompait pour te demander si tu voulais encore du thé ou si tu avais l'intention d'aller au théâtre dans l'après-midi.
La famille comme les produits isolés faits de la même matière
Une matière qui peut donner des résultats différents, réussis, lisses et denses, ou au contraire tout hérissés d'aspérités, voire d'aspect douteux. Quelquefois, mais c'est rare, très rare même, le résultat est un produit imprévisible et merveilleux.
J'arrive probablement à la faveur d'un déraillement inattendu du cycle.