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3,62

sur 88 notes
Livre lu dans le cadre de la masse critique privilégiée, je remercie vivement Babelio de me l'avoir proposé et les Editions du Seuil qui me l'ont envoyé. Cette histoire m'a immédiatement tenté par son thème sans en imaginer les péripéties qui sont très nombreuses.

Une belle lecture qui fait intervenir de multiples personnages, humains et animaux, dont le thème central est celui de la famille avec tout ce qu'elle peut générer comme ancrages, passions, déceptions, vexations, égarements, malheurs et joies de la vie.

C'est un drame qui s'articule autour de personnalités fortes, la mère, Pretty Mary, l'une des filles, Kerry qui est l'héroïne majeure, l'un des fils, Ken, enfermé dans des certitudes et une violence dangereuse pour les siens et lui-même. Et puis, la nature, avec une île sur une rivière où la marée remonte avec la présence d'un requin, la nature du bush australien que Melissa Lucashenko décrit dans de brèves phrases porteuses du sentiment de plénitude que cette île, cette rivière peuvent apporter à cette famille.

Le racisme est latent tout au long du roman, traité souvent avec humour, mais il est quand même certainement responsable du comportement du grand-père, Pop, lui-même victime d'agissements qui ne sauraient néanmoins justifier les siens.

Le langage est dur, cru, les dialogues sont acérés, la violence est toujours prête à se déchaîner, mais il y a dans cette famille des hommes de paix qui sont capables de rassembler autant que possible tous ces égarés de l'existence.

On ajoute une intrigue qui flirte avec l'écologie, mais sans excès, des amours contrariées, des souffrances dissimulées, le tout aboutissant peu à peu à une apothéose finale dont la dernière phrase est une très belle réussite.

Les très nombreux termes aborigènes ne sont pas traduits mais l'immersion dans le livre en permet globalement leur compréhension. Ils m'ont paru une valeur ajoutée à la qualité littéraire de ce roman aux dialogues très réussis, aux longueurs nécessaires pour entrer dans le tableau familial, en comprendre les imbrications et le rôle déterminant de la plupart des protagonistes, vivants et morts.

Faut-il regretter de l'avoir lu très vite, quasiment d'une traite? Je ne pense pas car on peut en rester imprégné longtemps je crois et ne jamais oublier les paroles de Celle qui parle aux corbeaux.






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Melissa Lucashenko ouvre cette oeuvre de fiction sur cet avertissement : « les membres de ma famille élargie ont subi au moins une fois dans leur vie la plupart des faits de violence évoqués dans ces pages ». le reste est tiré « soit d'archives historiques, soit de l'histoire orale aborigène. » Et l'épigraphe de nous renvoyer à l'histoire de son arrière-grand-mère, « une femme goorie qui, en 1907, fut arrêtée pour avoir tiré sur l'homme – Aborigène lui aussi – qui tentait de la violer. » « Elle n'était, selon lui, qu'une gin, une ‘'traînée aborigène'' et il avait le droit d'en faire ce qu'il voulait. »


Nous voilà donc plongés dans le triste quotidien d'une petite localité rurale de la Nouvelle Galles du Sud, en Australie. Son grand-père se mourant, la jeune Kerry Salter rentre au bercail sur une Harley volée. Au chevet du patriarche – un Aborigène arraché aux siens pour, conformément à la politique d'assimilation du gouvernement des années cinquante, grandir, privé de son identité culturelle, dans une mission blanche –, elle retrouve avec répugnance les débris du cercle familial qu'elle n'a jamais eu de cesse que de fuir.


Imbibée de croyances chrétiennes à défaut de l'alcool dont elle est parvenue à se sevrer, sa mère Pretty Mary n'en reste pas moins la gardienne de la mémoire familiale et de la culture Bundjalung héritée de la branche maternelle. C'est elle qui, cartomancienne à ses heures, fait chichement bouillir la marmite du foyer, entre l'addiction aux paris hippiques de l'aïeul et les combines toujours perdantes de son colosse de fils à la dérive. Ken, récemment passé par la case prison, est un quintal de rage et de rancoeur que l'alcool achève de rendre mauvais. Père défaillant, ses deux aînés étant partis vivre chez leur mère, il déverse tout son venin et sa violence sur son benjamin Donny, un adolescent fragile et replié sur lui-même. Ne manque au tableau que Donna, la soeur de Kerry, partie à l'âge de seize ans sans plus donner de nouvelles, et dont l'absence hante une Pretty Mary incapable de contenir sa déception. Même le dernier fils est aussi de passage pour les adieux au vieux Pop : il vit d'ordinaire à la grande ville, où son compagnon et lui servent de famille d'accueil à deux enfants qu'ils tentent, tant bien que mal, de sauver de leur passé de violence.


Mais, éreinté comme tant d'autres familles aborigènes par l'acculturation et des conditions de vie marquées par la pauvreté, l'alcool et la violence, le clan Salter se mobilise soudain lorsque survient pis encore. L'agent immobilier Jim Buckley, petit-fils d'un Sergent de terrible mémoire qui, en son temps, terrorisa les Autochtones, profite malhonnêtement de ses fonctions de maire pour promouvoir un projet de construction sur le site sacré de leurs ancêtres. Dans une cascade d'événements qui révèlera bien des crimes, mais où l'humour noir de la narration sert d'antidote à l'abattement du lecteur face à la spirale du malheur et de la destruction, entretenue de génération en génération par les injustices quotidiennes d'un racisme systémique, chaque membre de la famille réagit à sa manière, contribuant à un sursaut collectif qui, pour la première fois depuis longtemps, pourrait redonner dignité et espoir à ces gens effacés de leurs terres et de leur identité culturelle par la tornade blanche de la colonisation.


L'humour du désespoir anime cette saga familiale qui, sous couvert d'une histoire divertissante à destination du plus grand nombre, n'en dénonce pas moins avec vigueur la triste inefficacité des politiques successives censées, ces dernières décennies, lutter contre les inégalités subies par la population aborigène en Australie : la ségrégation raciale se traduit toujours pour les Autochtones par une moindre espérance de vie, des difficultés socio-économiques, un plus fort taux de criminalité et de suicide. Enfin, à la portée politique du roman, s'ajoute le constat, ô combien d'actualité, de la nécessaire réconciliation de l'espèce humaine avec la nature et, à ce propos, de l'ancestrale sagesse des peuples aborigènes.


Merci à Babelio et aux éditions du Seuil pour cette belle découverte de la toute nouvelle collection Voix Autochtones.

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Non, C'est pas vraiment un mélo dans le bush.
Parle plus fort, j'suis dans la cuisine, tu dis quoi ? Que ce roman te met l'eau à la bouche !
Pourquoi, c'est érotique ? Tu m'excites…
Non, ç'est plus que ça m'exaspère, me tracasse, me titille. Genre, tu vois, si un jour Netflix s'empare de ce black-scénar le bandeau sera :
+16, violent, langage grossier, violence sexuelle, drogue, LGBT, alcool, pédophilie, racisme, ségrégation.
C'est plus un bandeau, c'est une bannière !
Plus je lisais, plus je me suis senti obligé d'en choisir une de bannière. Ça n'a pas été facile tant j'étais tiraillé entre les dégénérés, les parvenus, les agressés, les délaissés, les alcooliques pour oublier et les disparus pour disparaitre.
« Une bande de mecs en plein bush se racontant combien ils sont tous merveilleux, et combien on les traite mal. »

Dans tout ce fatras et leurs charabias, il y a les familles qui étaient là avant que la capitaine Cook débarque : les « blackfellas » et celles qui envahissent le pays des autres et les assassinent en appelant ça la civilisation comme par exemple la bande à Jim Buckley cet enfoiré de maire qui veut vendre l'ile des ancêtres aborigènes pour en faire une prison. J'ai nommé : les « whitefellas ».
J'te rassure, ils sont tous carrément fêlés mais c'est parfaitement bien expliqué même si parfois et je ne tiens pas à faire la fine « bush » mais un glossaire aurait été aussi indispensable qu'un dispensaire pour Goories dans le Queensland un soir de beuverie.

Celle qui parle aux corbeaux parle aussi en « bundjalung » et écrit comme celle qui parle à tout le monde et c'est surement ce qui donne ce côté hypnotique et tellement attachant à ce roman. Finalement, ce récit émaillé de nombreux dialogues croustillants est aussi cocasse que déroutant et aussi bordélique qu'émouvant.

« T'en as mis du temps à montrer ta tête, lança Pretty-Mary à sa fille depuis la table de la cuisine, d'un ton acide. Tu t'es rappelé d'un coup que cette vieille autoroute vers l'enfer était à double-sens, hein ? »
La fille, c'est Kerry, la colonne vertébrale du roman et de cette grande famille du genre « Affreux, sales et méchants » à la sauce wallabies et leurs conseils de famille, c'est de la bombe. « Je suis tellement hot que je pisse du napalm, baby. »
Ils ont tous quelque chose à défendre, à expulser, à cacher, à vomir, à exorciser, à se faire pardonner, à excuser. Note bien que ça donne de la très bonne matière à lire…

« L'a fallu qu'on s'endurcisse pour pouvoir survivre, qu'on devienne aussi durs que ce vieux rocher, là-bas. Mais la dureté qui nous a sauvés, elle va nous tuer si elle continue encore trop longtemps. Les gens sont pas des rochers. »

Je remercie encore Babelio pour ce voyage privilégié et l'éditeur Seuil de m'avoir fait découvrir leurs « Voix autochtones » et surtout pas atones.



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Mélissa Lucashenko a le sens de l'humour et beaucoup d'esprit, pas de pathos et pourtant ce livre raconte lui aussi l'effort d'acculturation, le vol des terres, la séparation parents-enfants. J'aime beaucoup son style et ce mélange de mots aborigènes qui facilite l'immersion dans cet univers.
Je viens de passer quelques jours dans l'Outback Australien, à Durrongo, un beau voyage ainsi qu'un énorme coup de coeur.
C'est une histoire de haine, de racisme où la souffrance d'un jeune homme va atteindre toute une famille.
« Owen survécut au châtiment qui suivit sa victoire. Il rentra chez lui en héros, sonné par cette violence d'un nouveau genre qu'il y avait dans le monde, et refusant net de répondre aux questions de M. Lewis sur son visage défiguré, ses jambes ensanglantées. Il avait compris très tôt ce soir là que le prix à payer pour sauver sa peau serait le silence. Et quand Owen finit par mourir, très vieux, dans une maison loin là-bas dans le sud, sept décennies d'agonie étaient emprisonnées en lui, maintenues tout au fond par l'alcool, une fierté à toute épreuve et divers actes d'une grande cruauté que sa famille ne parviendrait jamais vraiment à oublier.»
Avec le clan Salter c'est explosif, tous sont extravertis et les relations conflictuelles. À chacun ses cicatrices, nous saurons tout au fur et à mesure. Ce clan est capable du meilleur comme du pire mais ce regroupe très vite pour faire face aux whitefellas (hommes blancs).
Quand Kerry retourne chez elle, sa petite amie vient de la jeter pour cause de prison et elle doit se cacher de la police. Pour tous bagages, elle a sa moto et le butin. Kerry est mon personnage préféré, elle est tout à la fois le témoin de sa famille bien spéciale dont elle tire des leçons qu'elle ne suit pas forcément. Elle monte vite au créneau, dépasse les limites, sort avec un dugai, Steve, un écossais connu au collège.
« Sa langue trop bien pendue, son problème depuis toujours. Et plus elle vieillissait, plus elle avait du mal à garder ses opinions pour elle. L'avalanche de conneries déferlant sur ce monde l'aurait noyée, si elle n'avait rien dit ; le moins qu'elle pouvait faire, c'était exprimer sa colère. Passer une bonne soufflante à tous ces connards, puis leur tenir tête ou bien se tirer en courant. »
C'est aussi la découverte de la nature, des totems, d'un peuple qui tente de conserver ses racines et de les transmettre aux autres malgré l'alcool, la drogue, la misère, il y a beaucoup d'entraide.
Il vous faut aussi découvrir l'histoire d'Elvis ce membre de la famille si spécial.
Les révélations finales donnent à réfléchir mais je n'en dirai pas plus.
Celle qui parle aux corbeaux est le deuxième roman de la collection Voix autochtones éditions du Seuil.
# Cellequiparleauxcorbeaux #NetGalleyFrance
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Kerry Salter est une jeune femme d'origine aborigène, au casier judiciaire chargé de cambriolages divers et variés.
Aujourd'hui, son grand-père est mourant, et c'est avec les pieds de plomb qu'elle revient dans son bled natal paumé dans le bush australien pour revoir son Pop une dernière fois. Elle y retrouve aussi les autres membres de sa famille dysfonctionnelle, qu'elle avait fui quelques années plus tôt : un frère violent et alcoolique, une mère ex-alcoolique devenue bigote et diseuse de bonne aventure, un neveu anorexique replié sur lui-même et ses jeux vidéos, le fantôme d'une soeur disparue 20 ans plus tôt. Il n'y a guère que Black Superman, l'autre frère, qui réussit sa vie à la grande ville.
Alors que l'agressivité des uns et des autres fait ressurgir les vieilles querelles familiales, le clan apprend qu'une prison va être construite sur la terre sacrée de ses ancêtres.
Toute la famille fait bloc contre ce projet, qui cristallise un fléau séculaire à peine latent : le racisme. D'un côté les Blancs, riches, corrompus qui se comportent en maîtres sur ce continent que leurs ancêtres ont colonisé et spolié avec brutalité et sauvagerie. de l'autre, les Aborigènes, privés de leurs terres, de leur liberté et de leur dignité, considérés comme des sous-humains. L'écoulement des siècles n'a guère apaisé la haine, et dans ce roman la violence affleure à chaque phrase.
Bon alors, comment dire... J'ai bien compris le but de l'auteure : rappeler les horreurs infligées par les Blancs aux Aborigènes, et les combats (toujours actuels) de ceux-ci pour récupérer leur identité et leur héritage.
Mais pour moi ça n'a pas fonctionné. L'auteure semble vouloir justifier tous les comportements indignes, violents voire criminels des « blackfellas » par les brutalités (certes tout aussi criminelles) qu'ils ont subies de la part des « whitefellas » au cours des siècles. On ne fait donc pas vraiment dans la nuance. Ni dans le langage châtié, d'ailleurs, même si c'est peut-être adapté au contexte. Mais j'ai rarement lu autant de grossièretés par page (et il y en a plus de 400). Les personnages sont caricaturaux à force de contradictions et d'incohérences, à commencer par Kerry, dont on nous assène à tire-larigot qu'elle est lesbienne et qu'elle hait les Blancs, et qui, dès le premier chapitre, tombe amoureuse en un clin d'oeil d'un jeune mâle fringant et...blanc.
Par ailleurs, je me suis perdue dans la généalogie du clan, ennuyée dans les longueurs de ce roman qui tourne en rond, agacée de tous les mots aborigènes non traduits, qui même s'ils se comprennent globalement, m'ont tenue à l'écart de cette histoire.

En partenariat avec les Editions du Seuil via Netgalley. #Cellequiparleauxcorbeaux #NetGalleyFrance
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Merci beaucoup à Babelio pour cette masse critique privilégiée ainsi qu'aux Éditions Seuil qui m'ont permis de découvrir ce livre.
Une très belle nouvelle Collection Voix Autochtones avec une magnifique couverture.
Dans cette histoire, on est tout de suite, plongé en Australie dans le monde aborigène.
Kerry Salter revient parmi les siens, dans la demeure de sa mère. Son grand-père est âgé et sur le point de décéder. Ses frères et soeurs ont plus ou moins bien réussi.
Kerry va défendre la cause aborigène, car la Municipalité a décidé de construire une prison sur leurs terres et mettre en péril leurs traditions. Kerry va tout faire pour que cela ne se produise pas, ce qui lui permettra de resserrer les liens familiaux.
Kerry va rester au Pays et faire face aux différents maux qui existent. La violence, le racisme et la pauvreté prédominent .
Cette histoire est animée de corbeaux et d'un requin.
L'auteure nous décrit avec précision cette communauté et ses traditions. Elle-même, est issue de la vie aborigène. La flore et la faune sont superbement présentes.
Ce roman nous fait voyager et nous permet de nous évader.
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Je voudrais remercier Babelio et les éditions du Seuil pour ce beau roman reçu grâce à une Masse critique privilégiée. Celle qui parle aux corbeaux est paru dans la collection « Voix autochtones ». L'autrice, Melissa Lucashenko, est une Bunjalung de la côte est d'Australie et elle milite pour les droits des aborigènes.
***
L'histoire se déroule en deux parties, mais un chapitre en forme de prologue présente un des personnages, Owen Addison, après sa victoire à un match de boxe en 1943. Owen est un « sang-mêlé » et les Blancs qu'il a vaincus lui font payer très cher sa victoire : ils le tabassent sans pitié et on devine qu'ils font pire encore… La suite de l'histoire se déroule de nos jours. Kerry retourne dans son village natal pour voir une dernière fois Pop, son grand-père, qui va bientôt mourir. Elle conduit une Harley dernier cri et en arrivant, elle trouve son frère aîné, Ken, une force de la nature, bipolaire, en train de boire sa quatrième bière à 11 heures du matin. Pop s'est rendu à l'hôpital avec Pretty Mary, sa belle-fille, la mère de Ken et de Kerry. Répondant aux questions pressantes de Ken, Kerry se décide à lui dire que Allie, sa petite amie, est en préventive et qu'elle risque cinq ans. Ce que Kerry ne lui avouerait pour rien au monde, c'est que Allie l'a plaquée et qu'elle-même est soupçonnée de complicité dans le cambriolage qui a fait tomber sa copine. D'où l'idée d'aller faire un tour au village où elle n'a pas mis les pieds depuis un an... Avec elle, elle a apporté un sac à dos qu'elle ne quitte pas des yeux.
***
Dans cette présentation, il manque au noyau familial Brandon, le frère cadet, celui qui a réussi, qui vit en ville et qui se mérite le surnom de Black Superman, ainsi que Donna, la fille aînée, disparue il y a belle lurette. Personne ne l'a jamais revue et tout le monde la croit morte, sauf Pretty Mary, sûre qu'elle est en vie et qu'elle reviendra un jour : les cartes de tarot le lui ont dit. Il ne faut pas oublier Donny, le fils de Ken, anorexique, quasi mutique, ne souriant jamais et s'abrutissant de jeux-vidéos. Elvis, le chien de la famille, semble être son seul ami et son unique réconfort. Chez les Bunjalung, la famille ne se limite pas à la famille nucléaire, mais s'étend à tous les membres de la parentèle, proches ou éloignés, morts ou vivants, et ils apparaîtront épisodiquement, au gré des fêtes et des drames. On fera aussi la connaissance du potentat local, Jim Buckley, maire et agent immobilier. Ce personnage sans scrupules veut mettre la main sur les terres ancestrales aborigènes, particulièrement chères à la famille Addison parce que leurs ancêtres y sont inhumés. Il va raviver les antagonismes et faire naître un esprit de revanche contre la colonisation par sa corruption et sa prévarication.
***
J'ai beaucoup aimé ce roman très original à plusieurs titres. Si on excepte Jim Buckley, l'autrice ne présente aucun personnage de manière manichéenne : tous ont des faiblesses, parfois impardonnables et criminelles, mais tous présentent des côtés touchants. le racisme est omniprésent dans les deux communautés. « Whitefellas » et « Blackfellas » se méprisent pour des motifs différents, mais la méfiance et les préjugés paraissent chez les uns comme chez les autres. le racisme, évident dans la communauté blanche (il y a des exceptions !), contamine aussi les relations entre les membres des Peuples premiers, voire entre ceux de la même famille. Ainsi, les différents tons de peau, qui dévoilent sang pur ou sang mêlé, suscitent différentes réactions parce qu'ils attestent de relations sexuelles avec des « Whitefellas », qu'elles soient ou non consenties. La nature est partout et elle habite chaque être qui veut bien s'attarder à la contempler. La communication avec les animaux et avec les esprits des morts devient vite absolument naturelle et parfaitement vraisemblable. Jolie surprise aussi : beaucoup de mots issus de langues aborigènes ne sont pas traduits et… cela n'entrave en rien la compréhension ! Une belle et passionnante lecture que je vous recommande.
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Des noms de lieux inventés mais qui pourraient parfaitement se situer sur l'État de Nouvelle-Galles-du-Sud du territoire australien, des personnages fictifs mais dont les actes, les affronts essuyés, les épreuves endurées ont été vécus dans son cercle familial aborigène, voilà ce que précise Melissa Lucashenko avant de nous ouvrir la route menant à cette longue histoire de famille.

Kerry, ses grosses bottes en cuir calées sur sa Harley pétaradante, arrive dans le bourg de Durrongo, ce patelin miteux d'un peu plus de trois cents âmes, qu'elle abhorre. Les autochtones matent cette « blackfella » maigrichonne. Elle fait une halte à la sortie du bourg et voilà que trois corbeaux prennent le relais et la matent à leur tour, pleins de dédain pour cette crétine de la ville qui s'est trompée de route. Elle est venue faire ses adieux à son grand-père Pop, et n'a qu'une envie, vite déguerpir de « ce putain d'endroit […] déjà maudit au-delà de tout remède ».
Elle arrive avec un sac à dos gonflé, laissant derrière elle sa compagne, en détention provisoire à la prison pour femmes de Brisbane suite à un braquage.
Kerry est celle qui a quitté ce trou et les siens pour partir à la ville, celle qui ne revient qu'une fois l'an. Une fuite mal perçue par tous les membres de sa famille. Et c'est justement la famille de Kerry, à l'identité culturelle piétinée, aux accès de colère quotidiens attisés par l'alcool et la pauvreté, à la haine dévorante contre l'autorité des « whitefellas » et au lourd passé gangrené par les missionnaires voleurs de liberté que nous allons découvrir.

Dans une misérable maison en fibrociment, à la toiture en tôles rouillées, sa mère lit l'avenir dans son jeu de tarot dont elle ne se sépare jamais. Elle tente vainement d'apaiser son monde continuellement au bord de l'explosion. Pop, l'ancien boxeur, drogué aux paris hippiques, vit ses derniers instants. Son frère aîné Ken, un colosse soupe au lait, narquois, agressif et plein de rancoeur est accro aux canettes de vodka soda qui font monter en puissance son éternelle colère latente. Son second frère, surnommé explicitement Black Superman, établi à Sydney, est le seul qui affiche une réussite financière. Donny le neveu, fils de Ken, passionné d'ornithologie et de nature se voit cruellement méprisé par son père et affiche son mal-être dans son anorexie. Et entre eux tous, l'ombre douloureuse d'une soeur disparue depuis 19 ans. N'oublions pas non plus Elvis, le chien marquant son territoire à sa manière, impliqué malgré lui dans les évènements à venir.

Comme dans tout territoire colonisé, les Aborigènes ont étés privés de leurs terres et là, il est de nouveau question de violer et de s'emparer du lieu sacré de cette famille. le maire, brandissant l'éternelle opportunité de créer des emplois, désire y construire une prison. le terrain visé se termine par une berge d'où l'arrière grand-mère a sauté dans l'eau glacée afin de rejoindre la petite île lui faisant face pour sauver sa peau et l'enfant qu'elle portait. Depuis, cette terre est sacrée et chaque inhumation du clan s'y déroule. Il faut donc protéger coûte que coûte ce coin de rivière. Cette histoire immobilière de spoliation de territoires ancestraux va soulever la poussière sur des surfaces inattendues.

La haine des blancs est immense. Ils ont instauré des lois qu'ils sont les premiers à bafouer. Leurs agissements répondent à cette réplique pleine d'ironie «Comment envahir les pays des autres et les assassiner en appelant ça la civilisation ». Pourtant, dans cette fiction, l'animosité envers les whitefellas peut s'éteindre lorsqu'il s'agit de flirts, ou plus…

L'Australie s'invite dans ces pages avec la traversée éclair d'un kangourou, à l'ombre d'un pin du Queensland, sous le bruissement des feuilles d'eucalyptus, dans la rivière serpentant vers la mer d'où un bout d'aileron est à peine perceptible et nous amène vers la protection des totems. J'aurais pourtant aimé un peu plus d'images de ce coin océanien et un peu moins de pages sur les tergiversations amoureuses de Kerry.

Le langage employé est très largement jalonné de «putain » et autres expressions familières. On comprend bien leur nécessité dans les échanges toujours conflictuels et houleux entre Ken et Kerry mais leur présence, tout au long de la narration, même si celle-ci se fait du point de vue de notre héroïne, s'avère pesante et polluante. En revanche, les termes aborigènes et la très discrète touche de surnaturel qui prend sa source dans la force ancestrale des peuples, agrémentent remarquablement ce texte. Cet accent mis sur les croyances fut même un peu trop léger à mon goût.

L'autrice suit une trame que rien ne vient entraver. Elle pose les jalons expliquant les motifs qui ont donné lieux aux différentes colères enfouies ou exprimées, dévoile les causes de la marginalité de certains membres de cette famille tout en laissant le lecteur émettre sa propre opinion sur les agissements des uns et des autres.
Quant au message de lutte contre le bétonnage enlaidissant, destructeur de magnifiques lieux naturels, il est malheureusement universel mais traité ici de manière plutôt originale avec ce genre de combattants pleins de paradoxes.

Merci à Babelio. Merci aux Editions du Seuil que je félicite en passant pour l'excellent choix de cette couverture dont les éléments peuplent cette lecture australienne.
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Kerry Salter revient dans sa ville natale Durrongo car son grand père est mourrant. Elle débarque sur une Harley volée, laissant derrière elle ,sa compagne Allie qui a écopé de cinq ans de prison pour un braquage .Le grand-père Pop git sur son lit médicalisé entouré par Pretty Mary la mère, Ken le grand frère ex sportif , habité par la colère ,une colère dirigée contre les blancs qui leur ont volé leurs terres, leur honneur. Il est revenu vivre chez sa mère,séparé de sa femme qui est partie avec deux des enfants il y a aussi Donny le fils aîné de Ken , ado maigre et mutique,passionné par les baleines. Pretty Mary a réussi apres de longues années d'alcoolisme à se séparer de sa bouteille,elle fait bouillir la marmite en tirant les cartes , tandis que Pop faisait des paris sur les chevaux de course. le seul qui a réussi c'est Black superman le dernier fils qui vit à Sydney avec son compagnon,rejeté par Pop à cause de son homosexualité. Et puis il y a Donna la fille aînée,fille facile à la mauvaise réputation qui a disparu.
La famille va se mobiliser car les terres de leurs ancêtres vont être vendues par le maire pour y construire une prison .
L'auteure est une aborigène,très engagée dans la défense des siens,à travers cette famille foutraque elle aborde la dure réalité des conditions de vie des aborigènes qui comme les amérindiens se sont fait spolier leurs terres et sont ostracisés par la population blanche.
Ce roman est une très belle découverte , la couverture est superbe. Je remercie Babelio de me l'avoir envoyé dans le cadre d'une masse critique privilégié ainsi que les éditions Seuil.
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Plus elle roule sur sa belle moto (« empruntée ») et se rapproche de Durrongo, son village natal de Nouvelles-Galles-du-Sud, plus le ressentiment de Kerry Salter grandit : que vient-elle faire ici ? Pourquoi venir assister aux derniers instants de son grand-père, lui qui n'a jamais été très affectueux, et alors qu'elle avait juré de ne plus jamais remettre les pieds dans cette famille dysfonctionnelle ?

Cela fait beaucoup de questions angoissantes à l'orée de retrouvailles de famille ; cela nourrit aussi la colère de Kerry, même si elle n'en a pas vraiment besoin, puisqu'elle vit quasi en permanence dans cette émotion. Une colère due aux manques familiaux, elle qui dut supporter la disparition de sa petite soeur, les coups de son frère Ken le koala, l'alcoolisme de sa mère Pretty Mary, la mort de son père, mais aussi due à la perception aigue que la vie n'est pas la même pour les goories comme elle, et pour les whitefellas, les Blancs issus des colons. D'ailleurs, pleine de conceptions désabusées sur la difficulté, voire l'impossibilité de vivre correctement quand on a la peau trop noire, elle se contente de vivre de larcins à la petite semaine qui lui ont d'ailleurs valu d'aller plusieurs fois en prison.

« Celle qui parle aux corbeaux » est donc le roman d'un retour au bercail. On fait la connaissance de cette famille Salter loin d'être idéale, frappée par une pauvreté systémique et qui vit dans la légende de ses ancêtres, notamment celle de la mamie Ava qui s'enfuit, enceinte, de chez son maître pour pouvoir enfin élever elle-même l'un de ses enfants, et qui y réussit au prix d'un marchandage avec son animal totem, le requin, un squale surnommé « le Docteur ». Une pauvreté entretenue par le gouvernement qui continue à les spolier, en vendant les terres aborigènes bundjalung sacrées au plus offrant, ici pour créer une prison, autre gros évènement du roman, les Salter décidant de s'y opposer…

Melissa Lucashenko écrit ici un roman-manifeste en ce qu'elle y met beaucoup d'elle-même et de ses luttes : d'origine bundjalung, elle est très investie dans la défense des droits des aborigènes mais aussi des femmes incarcérées, et, comme elle l'indique en avant-propos de son roman, beaucoup de membres de sa propre famille connurent « au moins une fois dans leur vie la plupart des faits de violence évoqués » dans ses pages. C'est ce qui rend ce roman si intense et si prenant, faisant mentir ici Charles Aznavour car la misère n'en est pas moins dure au soleil : cette terre aride et rouge, arrosée par un astre brûlant, sur laquelle il ne se passe plus rien, confine à un certain désespoir.

« Celle qui parle aux corbeaux » est donc un roman assez atypique, intéressant en ce qu'il permet d'en apprendre un peu plus sur la culture bundjalung, son rapport particulier à la nature, et les réalités sociales dont ses membres souffrent depuis si longtemps. Mention spéciale à l'éditeur qui a choisi, en accord avec Melissa Lucashenko et le traducteur, de conserver tels quels les termes aborigènes, sans lexique, ce qui n'a pas du tout été gênant, au contraire, puisque cela a permis au roman de garder son authenticité.

Malgré tout, je n'ai pas accroché à ces personnages torturés et assez peu sympathiques au final. Quelques touches de surnaturel aborigène sont insérées en début de roman et vers sa fin, et si cela ajoute un intérêt, une originalité certaine au roman, je pense être passée à côté de leur signification, ce qui m'a frustrée.
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