MERCI aux Éditions du Seuil [collection Voix Autochtones] qui m'ont fait parvenir
CELLE QUI PARLE AUX CORBEAUX dans le cadre d'une opération Masse Critique.
La couverture est très réussie, colorée et engageante ; une baleine, des corbeaux, des essences d'arbres exotiques, un requin Bouledogue, des symboles graphiques aborigènes, une Harley Davidson…. Mais indiscutablement, quelque chose de plus grand que notre quotidien semble se nicher entre ces figures totems.
Kerry, un sacré brin de fille toujours en délicatesse avec la justice, débarque dans le bourg de Durrongo avec ses grosses bottes de cuir et sa Harley pétaradante qui fait sa fierté et son honneur. Elle fait halte à la sortie du bourg tandis que l'injurient trois corbeaux dédaigneux envers cette stupide blackfellah qui semble s'être trompée de route…
Rien, rien, RIEN de se qui se produit ensuite n'aura de conséquence ; de la bête la plus petite à l'arbre le plus grand, du terrible serpent brun aux corbeaux croassants, des sables antédiluviens à l'air chargé de bonnes et de mauvaises nouvelles, tout aura un impact dans la suite des évènements.
Ainsi va la vie dans le bush.
Le livre, dédié à son frère qui plongeât dans une rivière pour lui sauver la vie, commence fort et se poursuit à « tombeau ouvert », au sens propre comme au figuré.
En préambule le rappel d'une affaire issue des archives d'audiences criminelles d'une Cour de District où on apprend qu'une fille aborigène [Christina Copson] a été inculpée pour avoir tiré sur son agresseur qui tentait de la violer sous le seul prétexte qu'elle n'était, selon lui, qu'une gin, c'est-à-dire une « trainée aborigène » et qu'il avait bien le droit d'en faire ce qu'il voulait (sic)… Dans la confusion, le déni ou la provocation, la Justice – comme on le sait aveugle – semblant préférer mettre tout le monde sous les barreaux plutôt que de paraitre laxiste, a punis l'un et l'autre.
Melissa Lucashenko met aussi en garde le lecteur quant à la violence de certaines actions évoquées ici et là qui pourraient paraître très exagérées et qui pourtant furent tout à fait réelles ; le livre repose sur des faits ayant été vécus soit par des membres de sa propre famille – [ils] ont subi au moins une fois dans leur vie la plupart des faits de violence évoqués dans ces pages – soit tirés d'archives historiques, soit encore véhiculés par l'histoire orale aborigène.
Ce roman puissant est basé sur l'injustice faite aux Aborigènes depuis la spoliation de leurs terres par l'Empire Britannique dès 1770, alors que le lieutenant
James Cook prenait possession des deux tiers de l'Australie pour la raison que l'île-continent paraissait inoccupée. Par la suite, la privation de nationalité aux aborigènes, la substitution des enfants arrachés à leurs mères et placés dans des orphelinats, ou la destruction de sites aborigènes par des sociétés minières ont poursuivis l'oeuvre destructrice…
En 1847, un certain E.W. Landor déclarait : « Nous nous sommes emparés de ce pays, nous avons abattu ses habitants, jusqu'à ce que les survivants aient jugé sage de se soumettre à notre autorité. »
On vola la terre, puis on s'empara des jeunes femmes, des jeunes enfants…
On piétina des sols sacrés, des symboles, des évidences…
On nia une culture, une langue, des actes innommables.
Ce beau roman mérite d'être lu. C'est aussi un voyage pour l'âme, en communion avec les Forces du Vivant.
Comme le chante MIDNIGHT OIL dans BEDS ARE BURNING :
Out where the river broke the Bloodwood and the desert oak (Là où la rivière s'est arrêtée, le Bloodwood et le chêne du désert)
Holden wrecks and boiling diesels steam in forty five degrees (Les épaves d'Holden et les diesels bouillants grésillent à quarante cinq degrés)
The time has come To say fair's fair to pay the rent To pay our share (Le moment est venu de dire qu'il faut être juste, payer le loyer, payer notre part)
The time has come a fact's a fact It belongs to them let's give it back (Le moment est venu ; un fait est un fait, cela leur appartient, allez, rendons-le.)