Le récit de voyage est un genre casse-gueule, surtout quand le pays traversé est l'Australie. Que peut-on dire d'un pays à la fois si vaste et si vide, et tout particulièrement de son désert ? D'accord, il s'agit d'un préjugé personnel qui n'a absolument aucune chance d'être valable. le narrateur se met en tête de traverser la
Nullarbor, c'est-à-dire la grande plaine désertique (nul arbor : aucun arbre, en latin) qui s'étend au coeur de l'Australie. Sans raison apparente, sinon peut-être ce nom qui fait rêver.
Le récit reprend à son compte un certain nombre de standards du genre : la dèche, les petits boulots, la route comme fin en soi, l'errance au gré des rencontres toutes plus bizarres les unes que les autres.
On croise ainsi un couple d'Italiens qui traverse l'Australie d'un bord à l'autre en se disputant sans cesse, car elle est vierge et ne veut pas coucher avant le mariage, un camionneur en mal de compagnie pour l'aider dans sa tentative suicidaire qui consiste à tenir 48h sans dormir pour livrer en temps et en heure sa cargaison d'acide à l'autre bout du pays... Il y a aussi des pêcheurs dégénérés trucideurs de requins et des paumés, des vrais, dont on ne sait s'ils ont vécu un jour de leur vie hors de la misère géographique, économique, sociale et mentale...
Le récit est par moments une succession de scènes prises sur le vif dans des saloons glauques ou des stations d'essence improbables, en pleine mer sur un rafiot de pêcheurs pourris, ou pour finir, au bord d'une mangrove en compagnie d'aborigènes. On assiste à une partie de pêche à la tortue, on écoute les récits mythiques d'anciens, on note la présence vaguement maléfique de deux corbeaux au-dessus d'une cabane en tôle, on lit des noms aux sonorités magiques, qui font comme de vieilles incantations prononcées en rêve (Yagoo...), des sobriquets amusants (le français est rebaptisé Napoléon aussi sec par les aborigènes), des cosmogonies exotiques, et pour finir on rencontre un crocodile centenaire que part rejoindre Augustus dans une sorte de suicide un peu (trop ?) mythique...
Malgré l'ultime phrase sur laquelle se referme le récit (« Rien. »), je dois reconnaître que mon préjugé initial sur l'Australie en était bien un. Il n'y a pas de lieux moins propices que d'autres au voyage et surtout à sa mise en récit, et on peut très bien écrire sur le rien.
Le récit de
David Fauquemberg est servi par un style efficace, mélange d'argot et de recherche poétique, avec des phrases bien balancées, équilibrées, justes, sans place ni pour l'épanchement ni pour la fadeur. Pas de place non plus pour l'explication (pesante), ici l'évocation – accrochée à quelques détails bien choisis – remplace la description. le tempo est bon, le rythme de la narration convient au baroudeur, sec, nerveux, sans ballast inutile.