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Critique de migdal


J'étais plongé dans « Le grand monde » de Pierre Lemaitre quand le postier a déposé le paquet contenant le premier roman de Karen Ludriac. J'ai parcouru son prodrome et le premier chapitre, ai mis de coté (provisoirement) la saga de la Famille Pelletier, et me suis plongé dans la saga de la famille Ludriac.

Bouleversante tragédie familiale en cinq actes, « Embrasse tes petits pour moi » apparait d'abord comme un exutoire au désarroi de Karen découvrant le 7 mai 2021 que son père souffre d'un cancer en phase terminale. Depuis cette annonce elle le visite chaque jour, lui prend la main, l'écoute durant ses moments de lucidité et reconstitue son existence.

Lilian nait en 1938 à Saint-Pierre, au sud-ouest de l'île de la Réunion. C'est un « bâtard », né sous X, adopté à l'âge de huit ans par Claudia et Louis. Adolescent il fait des bêtises, engrosse la « bonniche », file en métropole, devient chauffeur de taxi à Paris, se marie, devient père de Yann puis Karen (1968), mais la maman, déçue par les infidélités de cette « quéquette ambulante », inquiétée par sa passion du jeu et son addiction à l'alcool, demande le divorce quatre ans plus tard. Débutent des années de garde alternée jusqu'à ce que la mère quitte Paris pour le sud de la France en 1980. Lilian partage sa vie avec Claudette, une mauricienne, Anne Marie, une suédoise, puis Diana, une américaine … qui met fin à ses jours, laissant Lilian abattu, sombrant dans l'alcool.

Karen rompt alors avec son père, réussit de brillantes études, épouse Antoine et donne naissance à quatre enfants Manon, Alice, Suzanne et Victor, qui grandissent loin de leur grand-père et voient leur grand-mère mourir prématurément après des années de dépression.

Une chute, en état d'ivresse aigüe, hospitalise Lilian à La Pitié-Salpétrière, dont le corps médical convoque Karen et son frère. Ils apprennent alors que leur père présente des troubles cognitifs et constatent que son appartement est devenu un taudis exigeant une désinfection totale par des professionnels en combinaison, masque et sur-chaussures. Débute la déchéance mentale et physique : fugue, tutelle, dépendance, fauteuil roulant, démence, autant d'épreuves jalonnent la descente aux enfers, accélérée par l'alcool. « Laisse moi crever » hurle Lilian à sa fille.

Karen et son frère souhaitent connaitre les proches de Lilian, et découvrir leurs racines. Ils organisent un déplacement avec leur Papa à l'île de la Réunion qui permet de retrouver Désiré, ami d'enfance de leur père. Mais ce voyage vire au drame quand Lilian, pris d'un accès de démence, agresse Yann avec un couteau. Malgré tout, au fil des mois, Karen identifie la fratrie puis localise Pierre, Auguste, Lucien et Viviane dont leur père, devenu amnésique, ne se souvient guère.

Arrive le Covid et son protocole sanitaire. Lilian est hospitalisé, Karen vient le visiter avec ses quatre enfants, grâce à la complicité d'une soignante. le 7 mai, les médecins préviennent que la fin est proche. Chaque jour Karen est au chevet de son père qu'elle découvre petit à petit. « Embrasse tes petits pour moi » murmure-t-il avant de mourir le 23 mai et d'être incinéré le 2 juin.

En deux-cent-trente pages, Karen Ludriac raconte une vie tumultueuse, qui m'a rappelé « une vie minuscule », la biographie de Philippe Krhajac. Une enfance défavorisée condamne Lilian à une vie partagée entre l'alcool, le jeu et le sexe avec leurs conséquences fatales que sa fille montre avec brutalité, sincérité et vérité. Cet ouvrage pourrait donc être distingué par « La croix bleue » qui combat l'addiction à l'alcool et aide les victimes à se libérer.

Mais cette biographie est avant tout le cri d'amour d'une fille à son père et la quête de racines familiales méconnues à cause de l'éloignement entre l'ile de la Réunion et l'hexagone, et de la vie chaotique de son papa. Karen réussit ainsi à transmettre à ses enfants une trace d'un grand-père méconnu.

Karen Ludriac publie régulièrement sur son site des récits nourris par les expériences de son existence. Elle y démonte un réel talent de nouvelliste et une plume agréable. Son premier roman, riche de trente-chapitres, multiplie les allers-retours dans le temps et l'espace ce qui peut compliquer la lecture et la mémorisation du récit. Là est l'écueil rencontré par tout écrivain passant de la nouvelle au roman ou par un auteur auto publié. Il manque sans doute, à mon humble avis, la confrontation avec un éditeur qui permet précisément d'articuler le scénario, de planifier le récit, de fluidifier la lecture.

Mais ceci n'ôte rien à l'émotion générée par ce témoignage qui mérite un large lectorat et annonce une romancière prometteuse.

PS : ma lecture d'une vie minuscule
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