Citations sur La fin des monstres - Récit d'une trajectoire trans (41)
Moi, je refuse de camper ce rôle de bête difforme qui s'agite. Si le bestiaire du monstre naît du regard des autres, alors ce n'est pas moi qu'il dessine, mais eux. Les monstres qu'ils voient en mes sœurs, mes frères et moi ne disent rien de qui nous sommes. C'est un miroir tendu. Nous parlons et comptons bien hanter leurs nuit, en leur montrant que les véritables monstres se cachent en eux.
Je m'observe dans le miroir et mon corps se dessine sous mes yeux, lentement. Mes muscles se taillent et s'affûtent, ma moustache s'esquisse au-dessus de ma lèvre, ma voix descend dans les graves de semaine en semaine. À mesure que j'abandonne la féminité contrainte, je me réconcilie avec elle. Je la regarde avec une tendresse nouvelle, et m'étonne de ce qu'elle ne provoque plus en moi ni mépris ni terreur.
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Dans le même temps, j'observe avec tendresse et soulagement ma disparition, je m'enroule avec bonheur dans cette lourde cape d'invisibilité, celle qui me permet de me mouvoir dans la rue, de rentrer ivre et titubant, de vaquer sans but, sans que personne ne me remarque. Celle qui me permet de m'emparer de la nuit, si longtemps arrachée à mes songes, si longtemps synonyme de violence. Peut-être qu'en devenant invisible, je vais apprendre à dormir paisiblement. Mais peut-être que dormir paisiblement, c'est déjà avoir oublié et devenir un homme comme les autres.
Les vraies mutilations subies par les personnes trans se nichent dans la violence qu'on exerce à leur égard. La transphobie est la scarification ultime, viscérale et quotidienne.
Mais tout comme il y a mille manières d'être au monde pour les femmes et les hommes cis, il en va de même pour nous, et cette richesse de récits me manque lorsque je suis ravagé par le doute.
Où que nous allions, il n'y a pas de repos. Nous sommes broyé-es par la fabrique des "vrais" hommes et des "vraies" femmes, qui nous assignent à la violence ou à résidence jusqu'à complète assimilation ou jusqu'à notre mort.
Chez moi, on ne s'injecte pas pour démontrer la fiction idéologique de la binarité biologique des sexes, mais pour avot la paix.
Je ne suis pas un monstre. Bien que bâti comme tel par le regard des hommes, je n’en oublie pas que les véritables monstres se trouvent du côté de leur rive et non du mien. Je vivrais comme une haute trahison envers les femmes et envers moi-même de construire ma masculinité sur les vestiges désoeuvrés de la leur, tout aussi avantageux que cela aurait pu être pour moi.
Il réside pourtant dans la possibilité de la transidentité une puissante révolution, puisqu'elle constitue la preuve ultime du caractère construit du genre. Elle met en lumière l'arnaque de la nature féminine et de la nature masculine, lesquelles sont invoquées pour justifier la complémentarité naturelle des sexes et la domination naturelle des hommes sur les femmes. La transition agit comme un bouclier contre les rhétoriques patriarcales qui cherchent à enfoncer dans la tête de tout un.e chacun.e l'idée que la domination masculine va de soi et demeure indépassable, puisqu'elle serait codifiée dans notre ADN et dans l'histoire de l'humanité. La transition vient dire que les justifications utilisées par le patriarcat pour perpétrer son œuvre constitue une mascarade absolue.
Si l'on nous reproche de trop nous conformer à un idéal stéréotypé du masculin et du féminin, c'est sans comprendre que le monde entier nous y pousse, et que rechercher l'invisibilité constitue moins une stratégie de dissimulation qu'un impératif de survie.