Citations sur La fin des monstres - Récit d'une trajectoire trans (41)
Il se passe très peu de temps entre le moment où je m'autorise cette confidence et celui où j'avoue mon secret. Je n'existe qu'à travers les yeux des autres, et ne pas leur dire empêche cette nouvelle réalité d'exister concrètement.
Je le cache autant que possible, mais je ne sais pas faire comme les hommes. Ils crachotent un langage que je ne comprends pas et qui m'ennuie.
A cause de la marginalité forcée et des violences dont nous sommes victimes autant que par les trésors de lutte qu'elles nous contraignent à déployer, nous parlons une langue inédite, pleine de mystères et de tristesse, de rage et de colère, beauté et de résilience, et surtout pleine de ce que le monde sera bien forcé de nous donner demain. Car s'il "nous condamne à l'enfer, les trans voleront le feu".
Être trans, c'est vouloir disparaître pour ne pas souffrir son propre corps une seconde de plus. Se trouver continuellement cassé.e, ridicule, grotesque, et espérer dans les jours sombres être invisible aux yeux du monde autant qu'aux nôtres.
Lorsque les militant.es transphobes parlent de "mutilations sur des corps sains", je me demande toujours pourquoi cette opinion ne vaut pas aussi pour la chirurgie esthétique, la vasectomie, la ligature des trompes ou l'avortement. Je me demande toujours de quel corps sain ils et elles parlent. Ceux que la dysphorie terrasse, que l'on détruit à coups de troubles alimentaires, de dépressions et de haine de soi ?
Il se cache dans le coming out un écart au monde ignoble, car il n'existe pas de cadeau aussi précieux qui soit si souvent mal reçu par les autres.
Ces terreurs se font de plus en plus rares. Un pied après l'autre, je sonde les rares passants, je tranche le paysage : personne ne me regarde. Pas âme qui vive ne s'intéresse à ma présence, ne la remarque même. Devenir un homme, c'est devenir invisible.
Si toutes les familles réagissaient à la hauteur de la grand-mère, nous serions moins contraint-es de créer d'autres foyers ailleurs. Faire le deuil de nos proches car on aspire à être quelqu'un d'autre est un premier brasier, un baptême mortel. Celles et ceux qui restent ne réalisent pas qu'ils et elles tiennent la main de funambules. Si toutes les familles réagissaient à la hauteur de ma grand-mère, il y aurait infiniment moins de suicides dans nos rangs.
Les vraies mutilations subies par les personnes trans se nichent dans la violence qu'on exerce à leur égard.
Que vivent les personnes trans, que meurent les monstres.