Citations sur Poésies et autres textes (21)
ANGOISSE
Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
En qui vont les péchés d'un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l'incurable ennui que verse mon baiser :
Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
Planant sous les rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sait plus que les morts :
Car le Vice, rongeant ma native noblesse,
M'a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité
Par un coeur que la dent d'aucun crime ne blesse
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.
Autre éventail
Ô rêveuse, pour que je plonge
Au pur délice sans chemin,
Sache, par un subtil mensonge,
Garder mon aile dans ta main.
Une fraîcheur de crépuscule
Te vient à chaque battement
Dont le coup prisonnier recule
L'horizon délicatement.
Vertige ! Voici que frissonne
L'espace comme un grand baiser
Qui, fou de naître pour personne,
Ne peut jaillir ni s'apaiser.
Sens-tu le paradis farouche
Ainsi qu'un rire enseveli
Se couler du coin de ta bouche
Au fond de l'unanime pli !
Le sceptre des rivages roses
Stagnants sur les soirs d'or, ce l'est,
Ce blanc vol fermé que tu poses
Contre le feu d'un bracelet.
RIEN, AU RÉVEIL, QUE VOUS N'AYEZ...
Rien, au réveil, que vous n'ayez
Envisagé de quelque moue
Pire si le rire secoue
Votre aile sur les oreillers.
Indifféremment sommeillez
Sans crainte qu'une haleine avoue
Rien, au réveil, que vous n'ayez
Envisagé de quelque moue.
Tous les rêves émerveillés
Quand cette beauté les déjoue
Ne produisent fleur sur la joue
Dans l'oeil diamants impayés
Rien, au réveil, que vous n'ayez
« Un poème est un mystère dont le lecteur doit chercher
la clé . »
Et, triste, j'erre après un rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane
Renouveau
Le printemps maladif a chassé tristement
L'hiver, saison de l'art serein, l'hiver lucide,
Et dans mon être à qui le sang morne préside
L'impuissance s'étire en un long bâillement.
Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu'un cercle de fer serre ainsi qu'un vieux tombeau,
Et, triste, j'erre après un rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane.
Puis je tombe énervé de parfums d'arbres, las,
Et creusant de ma face une fosse à mon rêve,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,
J'attends, en m'abîmant que mon ennui s'élève...
— Cependant l'Azur rit sur la haie et l'éveil
De tant d'oiseaux en fleur gazouillant au soleil.
Le néant à cet Homme aboli de jadis ;
"Souvenir d'horizons, qu'est ce, ô toi, que la Terre ?"
Hurle ce songe ; et, voix dont la clarté s'altère,
L'espace a pour jouet le cri : "Je ne sais pas !"
Un coup de dés jamais n'abolira le hasard
Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
Aboli bibelot d'inanité sonore,
Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.
Tant pis! vers le bonheur d'autres m'entraîneront
Par leur tresse nouée aux cornes de mon front:
Tu sais, ma passion, que, pourpre et déjà mûre,
Chaque grenade éclate et d'abeilles murmure;
Et notre sang, épris de qui le va saisir,
Coule pour tout l'essaim éternel du désir.