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Critique de mylena


Coup de coeur pour ce coup de maître. Je suis scotchée par la performance littéraire de l'auteur. Cinq parties composent ce roman , pour chacune il y a un narrateur différent qui a connaissance des récits précédents, ce qui donne une construction à étages à la manière des poupées gigognes russes.
Le roman commence par la mort de Phily-Jo. le narrateur est son beau-frère, Gary Sanz, professeur cultivé, poète publié mais méconnu. Au demeurant ce sera lui le personnage principal du livre. Il nous raconte avec humour la vie et la mort de son beau-frère, inventeur méconnu d'une machine à capter une énergie libre et gratuite qu'il a baptisé FreePow. Accident ? Suicide ? Meurtre ? Gary Sanz s'interroge, doute, mène l'enquête : Phily-Jo était-il un fou ou un génie ? le récit est émaillé de rimes faciles (soulignées par un certain Deon Zubrinsky),il y a des scènes d'humour d'anthologie avec l'accouchement de Daisy, mère de Phily-Jo (et donc la naissance de celui-ci) le 22/11/63 au Parkland Memorial Hospital de Dallas pile au moment où J F Kennedy y meurt , toute seule, abandonnée par tout le personnel médical, le personnage de la vieille tante Tacolie (et tac, au lit!) ou celui de l'avocat sosie de J.R (l'action se passe à Dallas!). Tout cela est jubilatoire et sent le pastiche. le lecteur se pose d'autant plus de questions que dans le récit de Gary Sanz sont inséré de temps en temps des pages dont il est évident que l'auteur n'est pas lui. Soudain ce récit s'arrête (à peu près au tiers du roman), Gary a été arrêté pour meurtre. Lequel ?
La deuxième partie (intitulée Qui se souviendra de Gary Sanz ?) a pour narrateur Dipak Singh, étudiant qui s'intéresse pour sa thèse aux condamnés dans le couloir de la mort. Très vite il pense Gary innocent et se transforme en enquêteur avec l'aide d'une jeune avocate, Barbara, qui, au contraire penche pour la culpabilité de Gary, mettant en doute le premier récit, en relevant toutes les ambiguïtés du texte. Un peu à la manière de Pierre Bayard, mais avec son propre texte, Maltus Malte décortique le premier récit, montre les trucs d'écrivain, montre aussi pourquoi un même récit ne résonne pas de la même manière pour chaque lecteur (Dipak / Barbara). Peu à peu le narrateur Dipak se met à écrire à la manière de Gary, qui en fait pastichait Nabokov tout en semant son texte de références littéraires, mais aussi musicales (dont les trois maris de tatie Tacolie et ses trois cochons). C'est jubilatoire. Mais le récit de Dipak lui aussi prend fin (on ne saura pourquoi que bien plus tard).
Avec la troisième partie le style change, cette fois la forme est celle du journal de Sylvia alias Quanah quand elle joue en ligne, schizophrène et bipolaire (ou vice-versa), amoureuse de John (un cactus sur son balcon) et soeur de Barbara qui a disparu (sa disparition redonne du crédit aux narrateurs précédents). C'est désopilant tant paranoïa et naïveté y font bon ménage, pour le plus grand bonheur du complotisme, du grand tragi-comique qui ne peut pas bien finir. Exit Sylvia.
C'est là qu'intervient Ross Pierce, ancien policier à la retraite qui reprend l'enquête sur la disparition de Barbara, et surtout sur l'innocence ou la culpabilité de Gary. Ce quatrième narrateur reprend tous les éléments dont les trois récits précédents et démonte tout, pour lui tout cela est bien plus simple que ça en a l'air. "Ne vous rendez jamais à l'évidence"
Et enfin arrive la dernière partie, la plus étrange par la forme, avec une série de pièces à conviction (réelles et imaginaires), pour introduire un réquisitoire en règle contre le système capitaliste à bout de souffle, une analyse glaçante de nos sociétés, il exprime l'urgence climatique et la colère contre les manipulations. On croirait lire Naomi Klein ou Viviane Forrester, humour noir en prime, et rire amer. En même temps le narrateur de cette partie n'est pas identifié, il s'agit d'une jeune femme (Barbara?) qui plus est elle dialogue avec un homme (l'auteur?), et il y a aussi des textes sur une ( ? autre) jeune femme (Sylvia?), entre parenthèses et en italiques, internée ou emprisonnée.
Le lecteur en sort avec le vertige. Que croire ? Qui croire ?
« C'est l'un des principes du conspirationnisme : on s'empare d'un fragment au départ insignifiant, on le grossit, on le brandit et on n'hésite pas à le tordre, à le retailler, à en redécouper les contours afin de pouvoir l'insérer à tout prix dans le puzzle. » de qui finalement, en détournant les gens des combats essentiels, les théories conspirationnistes farfelues font-elles le jeu ?
"Ne vous rendez jamais à l'évidence". En fait l'auteur nous l'avait signalé par un clin d'oeil dès la première page (celle où il y a le titre et qu'en général on ne lit pas) : il y est écrit « Roman traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Edouard Dayms » alors que Maltus Malte est un auteur français aEdouard Dayms est le nom d'un des personnages de son roman Garden of love. La couleur était annoncée : le sujet du roman est la manipulation de la vérité. Et ce roman allie son propos, très moderne par les thématiques qu'il aborde, à une forme ludique, à la limite de l'exercice de style pur, sauf que cette forme est au service du contenu et lui donne de la force. Avec cette construction tout en mises en abyme l'auteur arrive à faire le tour de nos croyances et certitudes, le lecteur n'est pas prêt de découvrir avec certitude ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas, ce qui relève du complot machiavélique (pas besoin de Grand Complot, ce qui relève des Relations Publiques est déjà pas mal) ou du délire paranoïaque.
Maltus Malte nous rappelle que lorsque nous lisons de la fiction, nous acceptons de croire à quelque chose dont nous savons que ce n'est pas réel et nous plaçons dans un monde où tout est censé avoir une raison d'être, une justification, une explication (mais dans la vraie vie ce n'est pas toujours le cas). L'écrivain de fiction serait donc le plus parfait des manipulateurs.
Bref ce roman est particulièrement brillant. Et j'ai du mal à comprendre pourquoi ce livre n'a obtenu aucun prix.
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