Moi !! Moi je m'en souviendrai de Phily-Jo, ah non je ne suis pas prête de l'oublier, cet inventeur de génie méconnu duquel tout part. Dans ce livre, véritable pépite, nous découvrons, yeux ébaubis, bouche bée, zygomatiques douloureux tant ils participent de façon tonitruante à la lecture, l'effet domino d'une découverte dérangeante présentée sous la forme de récits enchevêtrés façon matriochka, façon poupées gigogne. de quoi donner le tournis au lecteur et le mener par le bout du nez. Un coup de coeur pour ce coup d'éclat, pour ce coup de maître, ce coup de gueule aussi. Chapeau bas
Marcus Malte, vous êtes un derviche tourneur de génie, vous nous entraînez dans votre danse en cercle dans le cercle dans le cercle…avec bonheur et gourmandise, impressionnés par tant de virtuosité, d'intelligence et d'humour totalement décapant ! Un moment de lecture vertigineux, une mise en abime drôle et jubilatoire ! Inoubliable !
Le problème avec ce livre, pour que l'effet whouaaaaou se produise sur son lecteur, est que trop en dire serait totalement gâcher le plaisir de lecture. Aussi, je me contenterai de vous parler du principe général, du tout début de l'histoire et de vous faire part surtout du style de ce livre qui m'a parfois fait rire aux éclats. Espérons que cela suffise à vous donner envie de découvrir de toute urgence ce livre qui aurait mérité tant de prix littéraires…
Nous sommes en présence de récits enchevêtrés donc racontés par des personnages différents auxquels nous nous attachons, qui ont chacun leur façon de parler, leur sensibilité, et dont nous ne mettons nullement en doute la sincérité…jusqu'au récit suivant où tout se fissure sur le personnage précédent, ébranlant notre certitude de lecteur, heureux que nous étions d'avoir pu trouver du réconfort dans une explication dans laquelle nous lover, heureux d'avoir pu accorder du crédit au récit offert. Hé non, tout est remis en question de façon troublante. Voilà le principe. Qui croire ? Chaque récit est-il une affabulation ? Un mensonge ? Un délire ? La vérité ? Les conséquences que nous voyons à l'oeuvre sont-ils des hasards ? Un complot ? Une vaste machinerie ? Chaque protagoniste veut-il faire passer des vessies pour des lanternes ?
« Ne vous rendez jamais à l'évidence. Je ne dis pas que tout est faux. Je dis que tout est vu à travers le prisme d'un esprit très singulier».
Le récit débute avec l'histoire de
Philippe-Joseph, surnommé notamment Phily-Jo, inventeur de génie, sorte de Géo trouvetou, qui a mis au point une machine à énergie libre, la FreePow, invention révolutionnaire car elle permettrait de se passer d'énergie fossile et de toute extraction quelle qu'elle soit. Cette machine convertit en effet l'énergie du cosmos en énergie naturelle, gratuite, enfin accessible à tous, non polluante, le rêve en ces temps de finitude des ressources, d'énergie hors de prix et de réchauffement climatique…sauf pour les lobbys pétroliers, gaziers, ceux des énergies renouvelables qui elle-même extraient les métaux et terres rares, sauf pour les forces géopolitiques construites sur ces immenses et puissants lobbys. Cette invention est donc visionnaire mais dérangeante.
La mort brutale de Phily-Jo demeure un mystère et ses proches, notamment sa soeur et son beau-frère, Michelle et Gary Sanz, se demandent s'il s'agit d'un meurtre, d'un suicide, ou d'un coup de malchance…Ils mènent l'enquête et, à travers les écrits du beau-frère nous voyons qu'ils tentent de voir si, comme ils le pensent de plus en plus, Phily-Jo a été assassiné par une organisation clandestine faisant partie du grand Capital,
La Pieuvre noire, qui veut empêcher la diffusions de cette innovation révolutionnaire...Et d'autres enquêtes, sur cette première enquête, vont suivre. Ces simples citoyens se penchant sur l'affaire Phily-Jo sont-ils emportés dans une tornade, l'oeil du cyclone, les tentacules de cette entité omnipotente et invisible qu'est la Pieuvre, est-ce une simple affabulation, une divagation provoquée par la puissance des récits sur lesquels les protagonistes se basent ? La littérature peut-elle ainsi nous influencer ? Sont-ils manipulés et par qui ? Ou tout cela est-il tout simplement cousu du fil noir de la malchance ?
« Vous, moi, on nous déplace comme des pions sur un échiquier. le maître du jeu s'amuse avec nous ; Il nous pousse, à son gré. Et pour l'instant la stratégie nous échappe. Nous ne comprenons pas grand-chose à la partie qu'il nous impose ».
Ce qui est certain, ce livre n'est pas cousu de fils blancs, jusqu'au bout nous ignorons qui est manipulé par qui, sauf à sentir que
Marcus Malte prend un immense plaisir à nous manipuler, nous, lecteurs. Manipulation jouissive, au point d'en redemander tant le texte est mâtiné d'un humour grinçant nous emportant irrésistiblement dans ce récit vertigineux. Je reprends l'extrait de la critique de Marie-Laure (@Kirzy) qui m'a donné envie, l'an dernier, de lire ce livre : « En fait, il fait essayer de remonter le courant en lisant les chapitres à l'envers et repérer les n
ombreux indices semés avec une intelligence folle. On est presque dans un Usual suspects littéraire tant tout est doute et instabilité ». Je ne saurais mieux dire, c'est exactement ça, je me suis surprise à revenir en arrière pour déceler des indices que je n'avais pas pris comme tels bien entendu en première lecture…Et comme le livre est assez conséquent, le fait de ne pas vouloir en sortir, de ralentir sa lecture, de revenir en arrière, j'ai mis du temps à le lire, à le déguster devrais-je dire…Je suis triste de l'avoir fini et j'aurais presque envie de le relire séance tenante !
Ce livre est un hommage à la littérature également, notamment à
Edgar Allan Poe dont on sent l'
ombre et la noirceur des corbeaux, à
Baudelaire dont on lit de n
ombreux extraits des
poèmes des "Fleurs du mal", et surtout à Nobokov qui semble tout particulièrement avoir guidé l'auteur sur la manière de mélanger rêve et réalité, illusions et certitudes avec notamment les allusions fréquentes à « La vraie vie de Sébastien Knight » et à « Feu pâle », « une histoire où quasiment chaque protagoniste n'est pas celui ou celle que l'on croit ». Comme lui
Marcus Malte joue avec les miroirs, « les miroirs déformants, les miroirs aux alouettes, les miroirs à travers lesquels on passe ».
"N'est-ce pas dans
La lettre volée que
Poe nous apprend que le meilleur moyen de cacher une chose est de ne pas la cacher ? Elle est là, sous nos yeux, tellement visible qu'on ne la voit pas".
Ce récit est également une dénonciation des problématiques actuelles des théories du complot, de la manipulation, de la désinformation, mais aussi et surtout des problématiques liées à la puissance du capitalisme malgré les contraintes croissantes engendrées par le réchauffement climatique. La manipulation de la vérité (pour servir la cause du profit) est abordée avec brio, la forme du récit servant le fond. C'est magistral !
Et ces problématiques graves abordées de façon si brillantes n'empêchent pas la présence quasi permanente d'un humour décapant qui rend le livre juste délicieux, malgré tout…L'arrivée d'un Géocoucou m'a même fait avaler de travers, j'ai bien failli m'étouffer à cause de ce livre, il est dangereux !
"Avant, les mecs que je fréquentais c'était plutôt des dingues du tuning. Rien à foutre des émissions de gaz, ils avaient des caisses avec des moteurs monstrueux, quand ils appuyaient sur le champignon, y avait des flammes qui sortaient du pot et des tigres hurlaient sous le capot à t'en décoller les tympans. Fini, ma vieille, t'as passé l'âge. Là, quand il a démarré, ça n'a pas fait plus de bruit qu'un fauteuil roulant. Genre corbillard électrique, avec des batteries au lithium. Comme moi, doc, pas vrai ? le lithium ? Tout et tous sous calmant, pour pas que ça explose".
Vous l'aurez compris, j'ai eu un immense coup de coeur pour ce coup de maitre et moi de m'interroger : pourquoi ce livre n'a-t-il pas fait plus de bruit ? Serait-il dérangeant ? Est-ce la mainmise de la Pieuvre noire qui oeuvre en secret pour empêcher sa diffusion alors que nous avons là un chef d'oeuvre? Et d'ailleurs qui manipule l'auteur ?? N'oubliez pas : rien n'est plus proche du vrai que le faux…
Mille mercis Marie-Laure (@Kirzy), je comprends que ce livre ait été ton numéro un dans ta liste des coups de coeur 2022 !