Enfermé dans son souvenir comme dans un écrin, il (Reynier) traversait les pays, les événements et les êtres sans leur prêter attention — opaque et imperméable, le regard, le cœur et l’esprit tendus vers le jour où il reverrait la terre de France, d’où les salauds l’avaient exilé. Tout ce qui arrivait à Reynier n’était qu’une parenthèse, un détour qu’il prenait pour revenir par l’autre bout au pays du Beaujolais, de la pipe de bruyère, des rillettes et des jolies filles à trousser dans l’herbe. Pour avoir tout cela il fallait d’abord se débarrasser des Fritz. C’est pourquoi cette guerre avait pour Reynier un sens évident, immédiat, presque palpable, qu’Arezki secrètement lui enviait : certaines certitudes ont le goût du bon pain.
Nous savons tous dans la montagne que ceux qui sont morts assassinés connaissent dans l’au-delà l’angoisse et l’inquiétude tant qu’ils ne sont pas vengés. Nous savons que leurs âmes reviennent errer la nuit. On ne les voit pas, mais beaucoup d’entre nous les ont entendus crier la nuit quand il fait silence. Nous l’avons tous entendue, cette voix, et si fréquemment que nous lui avons donné un nom : anza.
L'administrateur leva la tête lentement, le regarda et, comme s'il avait soudain perdu le sens, lui dit quelque chose en arabe. Le père ne répondit pas, l'administrateur se leva de nouveau furieux, baragouina quelque chose.
Un cavalier entra et d'un air aussi rogue lui demanda pourquoi il ne répondait pas. « Tout le monde ici est-il devenu fou ? » pensa le père.
— Dis-lui, dit-il au cavalier, que je ne comprends pas l’arabe.
Le cavalier traduisit.
— L’administrateur te demande si tu sais parler français ?
— Non plus, dit le père, je suis d’Ighzer : il n’y a pas d’école chez nous.
(...)
— Le chef te demande ce que tu parles.
— Le kabyle.
— L’administrateur te demande si tu ne pourrais pas parler français comme tout le monde.
— Dis-lui, si ce n’est pas l’offenser, que le kabyle et la langue de mes pères.
Il ( Akli ) ramassait les épis tombés derrière les moissonneurs, comptait
les oeufs de la basse-cour , rognait sur tout , répétait à chaque instant à ses
ouvriers " qu' ils voulaient l' envoyer mendier sur les routes " .
Le cousin Akli travaillait autant que ses ouvriers et vivait comme eux .
" Mais que m' importe à moi ( et autres ) le sommeil d' une nuit...ou d' un
jour...Qu' importe même le sommeil de tout un an : il n' est que la mort
dont on ne s' éveille pas ... "
" Vous pouvez dormir , monsieur le juge : il est bon après tout que
le sommeil du juste suive le sommeil de la justice " .
Vous pouvez dormir, monsieur le juge: il est bon après tout que le sommeil du juste suive le sommeil de la justice.
Les jours, vous avez choisi de vous en acquitter au lieu de les vivre; la justice, votre métier est de la rendre, non de la chercher: vous en avez désappris la saveur quelquefois âpre.
Vous entrerez dans le bonheur feutré de votre vie, m'ayant déjà oublié.Il ne vous restera plus qu'à entrer, l'âme blanche, dans la blancheur de vos draps, convaincu que vous avez fait votre devoir, puisque vous avez accompli votre tâche.
...il ne voit pas combien est fragile la ligne entre nous qui sépare la faute du justicier. S'il cessait un instant d'être bercé par la fausse sécurité du code, si le bref instant d'un lapsus il remplaçait pour une fois par sa conscience d'homme les termes de la loi qui lui en tiennent lieu à bon compte, il reculerait effrayé de découvrir que la société qu'il défend pourrait ne devoir son pardon qu'à ma mansuétude...