AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de sylviedoc


Il est rare que j'aie autant de mal à écrire un retour sur un livre que j'ai aimé, en général c'est plutôt ceux que j'ai très moyennement appréciés qui me donnent du fil à retordre. Mais celui-ci entre dans la catégorie qui vous tord les tripes et vous émeut au point qu'il est impossible d'en partager de suite son ressenti, il faut laisser reposer un peu avant. J'en ai relu quelques très belles critiques (celles de Sam ou de Gruz pour ne citer que ces deux-là, mais il y en a bien d'autres qui sont remarquables). Et je doute d'arriver à restituer aussi bien ce que j'ai éprouvé à cette lecture.
Ian Manook, je l'ai déjà rencontré sous d'autres noms, notamment celui de Roy Braverman dans la trilogie "Hunter", que j'avais beaucoup appréciée. Mais là...on passe à quelque chose de bien plus prenant, quelque chose qui prend racine dans la propre vie de l'auteur, puisque si cette histoire n'avait pas existé, l'auteur n'aurait pas pu l'écrire, il ne serait pas né.
En effet, Patrick Manoukian (son vrai nom) est le petit-fils d'Araxie, une des héroïnes de "L'oiseau bleu d'Erzeroum" mais également d'Haïgaz, un autre personnage crucial du récit. Araxie et sa petite soeur Haïganouch habitaient près d'Erzeroum avec leur maman quand l'horreur a déferlé sur elles, laissant Haïganouch aveugle et les fillettes orphelines dans cette Arménie turque qui ne veut plus de ses habitants chrétiens. Entre mensonges et spoliations, toute une population va être jetée sur les routes dans des conditions épouvantables vers une mort presque inéluctable dans le désert de Deir-ez-Zor, là où leurs bourreaux turcs ont décidé de les laisser crever. Grâce à l'aide d'une vieille femme rusée, Chakée, qui va les prendre sous sa protection, les deux petites vont échapper au pire, mais leurs épreuves sont loin d'être terminées pour autant. Et elles vont être séparées assez rapidement, sans espoir de se retrouver.
Dans le même temps, deux gamins des rues, arméniens également, tentent de s'en sortir par tous les moyens, même les plus audacieux et illégaux. Ce sont Haïgaz et Agop, qu'on suit également lors de péripéties parfois tragiques, mais aussi plus souriantes de temps en temps.
Ces quatre destins vont finir par se croiser, au gré de leurs rencontres avec des êtres parfois bienveillants, mais le plus souvent animés des pires intentions.
On comprendra comment quelques potentats ont décidé d'anéantir tout simplement une population entière, au simple motif que leurs dieux ne sont pas les mêmes. Bien sûr, l'histoire fourmille malheureusement d'exemples similaires, et d'ailleurs le roman s'achève alors qu'un autre de ces tyranneaux, allemand celui-ci, est en train de préparer le prochain génocide.

Patrick Manoukian a réussi le tour de force de raconter une histoire absolument atroce, celle de son peuple, de sa famille sans édulcorer (enfin un peu quand même : son éditeur lui a fait supprimer deux scènes), tout en y semant des graines d'espoir tout du long, ce qui rend le récit supportable et même plaisant à certains moments. On y trouve de l'humour, notamment avec les facéties des deux ados Haïgaz et Agop qui m'ont arraché des sourires, de l'humanité aussi, quand parmi les bourreaux tout à coup l'un deux se révèle humain, quand même. Et les poèmes d'Haïganouch introduisent des touches d'une beauté lumineuse y compris au coeur de l'horreur. Bien sûr l'histoire est romancée, mais tous les faits touchant à la politique turque et internationale relatés y sont authentiques, y compris les sales petits calculs d'autres gouvernements soi-disant "indignés" de ce génocide. Ca fait mal, croyez-moi ! Et c'est justement cette authenticité qui rend ce roman si poignant, qui fait qu'on a mal en le lisant, mais qu'on souhaite si ardemment que ces jeunes s'en sortent.
Je suis ressortie à bout de souffle de "L'oiseau bleu d'Erzeroum", n'ayant plus qu'une idée en tête : découvrir ce qui s'est passé après. Mais ce ne sera pas pour tout de suite, il me faut d'abord digérer ma lecture, et intercaler un peu de légèreté pendant mes vacances, c'est nécessaire après un tel choc littéraire.
Je recommande ce livre à tous ceux qui peuvent en encaisser la dureté, les cent premières pages étant vraiment éprouvantes, d'autres l'ont dit avant moi. Mais si vous vous sentez capable d'affronter la crudité et l'horreur d'un pan de notre histoire contemporaine qu'il ne faut surtout pas oublier, n'hésitez pas.
Commenter  J’apprécie          7129



Ont apprécié cette critique (68)voir plus




{* *}