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Critique de Woland


Woland
16 décembre 2015
Todas las Almas
Traduction : Anne-Marie Geninet & Alain Kéruzoré

ISBN : 9782070318124

Adepte d'un style raffiné, qui sous-entend beaucoup en en disant presque autant (mais attention ! tout ce qui est dit n'est pas toujours vérité d'Evangile et c'est à vous, cher lecteur, de rester sur vos gardes et solidement à l'affût ), Javier Marías est, nous l'avons déjà dit, un auteur que l'on peut qualifier d'ardu. Il faut entrer dans son univers en se laissant glisser avec douceur et sans refuser la fluidité un peu précieuse de ses phrases, sa façon d'aller (ou de faire semblant) d'aller du coq à l'âne et puis, quand survient la fin, de vous livrer la clef de l'énigme (nous ne croyons pas qu'il fasse dans le policier classique) alors que, si vous aviez vraiment prêté attention, si vous aviez pris la peine de revenir sur tel ou tel prénom ou nom, sur tel ou tel incident en apparence minuscule, eh ! bien, vous auriez réalisé depuis longtemps à quoi ressemblait ce petit objet toujours admirablement ouvragé.

Bien sûr, votre plaisir eût été moindre , comparable à celui, tiédi et fade, que l'on prend justement lorsque l'on devine le nom du coupable dès les deux tiers d'un livre policier classique. Et puis, il est bien plus jouissif de suivre "Le Roman d'Oxford" tout d'abord comme ce qu'il prétend être, la chronique des deux années (au tout début des années soixante) durant lesquelles un jeune professeur d'espagnol enseigna à Oxford. Si les coups de griffes ne sont pas épargnés çà et là, plutôt affectueux d'ailleurs, comme ceux d'un chat qui joue avec vous, à la noble et antique institution britannique, l'analyse des personnages principaux est, comme toujours, profonde et déterminée. Sur l'échiquier romanesque de Javier Marías, toutes les pièces y ont leur importance et, mieux encore, les pions, massifs, lents mais têtus, peuvent se transformer en ce que qui leur est nécessaire bien avant la fatidique huitième case, le tout dans un éclair et avec une agilité qui n'auraient rien à envier à Samantha, notre célèbre "Sorcière Bien-Aimée".

Notre professeur d'espagnol, qui est plutôt séduisant et intelligent (ce qui ne gâte rien ), a une petite liaison avec Clare Bayes, une femme mariée et mère d'un jeune Eric, il me semble un peu plus âgée que son amant, toujours belle et sensuelle, mais qui se lasse assez vite de leur petit jeu. Il a, pour confident essentiel et parfois quelque peu énigmatique, le très british et très pince-sans-rire Cromer-Blake et alterne les "high-tables" (sortes d'orgies dans tous les sens du terme pour professeurs oxoniens et, si j'ai bien tout saisi, auxquelles assistent les élèves les plus âgés ) et les virées nocturnes dans une ville silencieuse mais surprenante où roulent sur les pavés les caddies contenant la maigre fortune des clochards. (Ouais, je sais, faut dire "SDF" : j'm'en fous. Ca fait peut-être mieux, ça "allège" peut-être certaines consciences ou prétendues telles, ça fait bien "politiquement correct" mais Marías et ses traducteurs ont choisi "chochards" alors, si vous croyez que je vais me gêner ... D'ailleurs, pour moi, "clochard", ce n'est pas péjoratif : "SDF", oui. Si vous ne parvenez pas à comprendre, laissez tomber. C'était notre intermède didactique du jour sur Woland et si vous regardez la date, en la rapprochant de quelques jours plus tôt, vous saisirez peut-être mieux. Sinon ... C'est pas ma faute si vous ne savez pas faire 1 + 1 = 2. )

Et puis, notre héros, comme tout littéraire qui se respecte, se promène chez les libraires, notamment les Alabaster. C'est chez eux qu'il déniche un jour un mince recueil d'un certain John Gawsworth, admirateur comme lui de l'oeuvre du Gallois Arthur Machen, auteur d'une oeuvre fantastique très particulière dont le volume le plus connu - texte bref, fulgurant, horrifique - n'est autre que "Le Grand Dieu Pan" (dont vous trouverez sur Babélio la fiche que je lui ai consacrée).. Peu à peu, notre héros se passionne pour ce Gawsworth qui fut assez peu prolifique, semble-t-il, et, d'après des rumeurs que Cromer-Blake et d'autres sont les premiers à colporter, comme quoi il aurait été agent de renseignement, et même agent double, voire triple au Moyen-Orient, dans les années quarante.

"Quel bric-à-brac !" me direz-vous. "Tout cela a-t-il un sens ?"

Mais oui, honorable et désespéré lecteur . Marías nous a tissé entre tous ces personnages des liens d'une logique exemplaire quoique assez surprenante. On n'en devine la trame serrée qu'à la toute fin du livre - enfin, tel fut mon cas - et on en sort songeur et épanoui, avec l'idée de ranger "Le Roman d'Oxford" dans les livres à relire. Pour mieux saisir l'art de l'auteur, cette grâce infinie à sauter de rocher en rocher ou, mieux encore, de flaque en flaque comme Gene Kelly dans "Singin' in the Rain." Pour l'accompagnement musical, vous avez le choix entre le style espagnol et le style anglais Henry VIII (je ne sais trop pourquoi, j'associe toujours Oxford à ce monarque) et puis, rappelez-vous : laissez-vous aller mais n'hésitez pas à revenir sur un détail qui ... ou que ... Ne soyez pas paresseux : sinon, vous n'apprécierez ni Javier Marías, ni ses histoires et encore moins son style. Ce serait dommage.:o)
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