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Citations sur L'empoisonneuse d'Istanbul (19)

Alors que je suis à deux doigts de partir, je prends conscience que Constantinople tient une partie de sa beauté de son pouls, de cette fièvre qui monte petit à petit dès le matin et ne s'éteint que tard dans la nuit.
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Comme je ne m'attendais pas à un tel argument, je lâche involontairement ce qui pourrait constituer une maladresse de ma part :
- Et comment se fait-il que tu te préoccupes autant de la sécurité des Roums ? (1)
Il ne me répond pas immédiatement mais il ralentit la voiture et se gare en double file.
-I am the child of the Turkish minority in Germany, m'explique t-il posément. J'ai grandi dans la minorité turque d'Allemagne. Chaque fois qu'un Turc commettait un meurtre, un vol ou même une simple dégradation, la faute en était rejetée sur l'intégralité de notre communauté pour la bonne raison qu'à leurs yeux nous étions tous les mêmes. Dès que je mettais les pieds au bureau, la première chose que je m'entendais dire était :" T'as vu ce que les tiens ont encore fait ?" poursuit-il avant d'hésiter un bref instant. Les Turcs de Turquie sont incapables de comprendre ce que je dis là. Ils pensent vivre encore à une période révolue, tu temps où les minorités étaient à notre charge. Ils oublient que nous avons désormais nos propres minorités. En Allemagne, en Autriche, en Angleterre… Et nous partageons le même sort que toutes les autres minorités à travers le monde.
J'essaie de lancer une plaisanterie :
- Tu ne crois pas que tu verses un peu trop dans le mélo ?Allez, on laisse tomber pour l'instant.
J'ai juste tenté de calmer un peu le jeu. Mais ma remarque obtient l'effet inverse.
- Tu dis ça parce que tu n'appartiens pas à une minorité et tu ne sais même pas ce que cela veut dire, me rétorque t-il avec véhémence. Tu ne peux pas comprendre ce que l'insécurité veut dire, ni la peur que l'on porte en soi, ni la haine qui peut se déchaîner à la moindre étincelle. Jamais une minorité n'a été comprise par ceux qui appartiennent au plus grand nombre. Moi, je comprends mieux la communauté roum que tu ne pourras jamais le faire.
Je reçois cette dernière phrase en plein dans la figure, comme une gifle cinglante qui me met hors de moi.
- A d'autres, tu m'entends ! Parce que je sais parfaitement dans quelles conditions les Roums de Constantinople ont dû venir s'installer en Grèce !
Dans mon mouvement d'humeur, j'ai oublié de parler d'Istanbul et ai utilisé le nom Constantinople, qui sonne on ne peut plus grec orthodoxe. Mais je n'en continue pas moins de dire tout ce que j'ai sur le cœur :
- Et ça vaut aussi bien pour 1922 avec les migrations de population, pour 1955 avec les Evénements de Septembre et pour 1964 avec la crise chypriote. Alors, tes petites leçons, permets-moi de te dire qu'elles sont très malvenues.
Constatant que j'ai pris la mouche pour de bon. Murat décide de mettre fin à notre différend. Il redémarre doucement et emprunte la file du milieu.
- Je te prie de m'excuser. Je ne voulais pas me montrer agressif, me murmure-t-il après.
- Pas grave. Je comprends tu sais.

(1) Roums petite communauté de Grecs dont la plupart vivent à Istanbul.
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- Mais enfin, on dirait que ces Turcs sont en permanence affamés! s'étonne Adriani à l'intention de Mme Mouratoglou.
- Ne vous y trompez pas. Ils mangent peu. Ce sont nous, les Grecs, qui dévorés comme quatre! s'exclame dans notre dos la voix tonitruante de M. Sotiris, notre restaurateur, que Mme Mouratoglou nous a présenté un peu plus tôt.
- C'est impossible! proteste Adriani. Il n'y a pas une ruelle où nous soyons passé dont un magasin sur deux propose de la nourriture.
- Les Turcs ne sont pas esclaves de la faim mais des saveurs, Mandam, lui précise Sotiris. Le Turc bien né aime à avoir une dizaine d'assiettes autour de lui pour y picorer pendant des heures. [...]
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Adriani me retient par le bras en laissant le reste du troupeau avancer sans nous.
- Ils sont forts sympathiques, ces gens, me confie-t-elle lorsque les autres sont hors de portée. Mais par moments, ils sont insupportables, non ?
- Ne commence pas à te plaindre, s'il te plaît. Je t'avais proposé de faire le voyage à deux, en tête à tête, et tu as refusé.
- Quoi ? Avec ta guimbarde de Mirafiori ? crie-t-telle presque sous la voûte. Tu voulais faire la route entre Athènes et Constantinople avec la Mirafiori ! C'est la première fois que je vois un policier sans aucune notion du danger. Et ce policier n'est autre que mon époux ! Doux Jésus !
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- La Grèce est le berceau du monde occidental et de la civilisation. Ici, c'est l'Orient inculte. Si on excepte la foi orthodoxe, Byzance et son empire se rapprochent davantage des Turcs que de nous autres, les Grecs.
- Alors pourquoi désirez-vous tant que Constantinople nous soit restituée?
- Parce que, d'un point de vue stratégique, le territoire sur lequel la Grèce s'étend naturellement se trouve à l'est du pays. À l'ouest, il n'y a rien de viable pour nous. Le premier à l'avoir compris est Alexandre le Grand, m'explique le général à la retraite.
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Mais la colère est un excellent stimulant de la mémoire, au contraire de la tristesse, qui engloutit les souvenirs.
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En général, j'éprouve par déformation professionnelle une aversion pour tout ce qui est de l'ordre de l'expérimentation pour la bonne raison qu'à chaque nouveau ministre, nous sommes transformés en cobayes et nous souffrons le martyre.
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Ce n’est pas que l’on trouve chez nous moins de commerces de restauration mais, au contraire d’ici, les nôtres s’apparentent davantage à des fast-foods qu’à des comptoirs de vente à emporter : les mets sont présentés en vitrines derrière lesquelles se tiennent des hommes vêtus de blouses immaculées et coiffés de toques de cuisinier.
Adriani s’approche d’une vitrine. Au début, je me dis qu’elle souhaite commander un complément de repas vu que son appétit a été coupé net quand elle m’a vu sortir mon portable. En fait, je me trompe. Elle reste plantée là, à détailler la vitrine et les plats exposés. Elle rêvasse devant les préparations à l’huile, les boulettes de viande déclinées dans des formes variées, les riz divers et les viandes grillées. Elle regarde les colonnes alignées le long des murs des gyros qui tournent sur eux-mêmes pour cuire la viande dans laquelle on tranche le kebab. Elle semble incapable d’en détacher les yeux.
– Vous aimez la cuisine, madame Charitos ? lui demande gentiment Mme Mouratoglou.
– Comment avez-vous deviné ?
– À votre regard. Vous avez celui d’une spécialiste, répond-elle avant d’hésiter un instant. D’une spécialiste un tantinet envieuse.
Bien que Mme Mouratoglou ait répondu de manière amicale, sans aucune intention de blesser, je m’attends à ce qu’Adriani prenne la mouche et m’apprête d’ores et déjà à la contenir pour ne pas nous retrouver en froid avec la seule personne qui fait montre d’un peu d’affection pour nous ces derniers temps. Mais Adriani me surprend lorsqu’elle s’adresse en souriant à Mme Mouratoglou :
– Toutes les bonnes cuisinières sont un peu jalouses un jour ou l’autre, madame Mouratoglou. Ce qui me plaît tant, ici, c’est l’abondance. L’œil est autant rassasié que l’estomac.
Nous remontons Péra en direction de la place Taksim non sans difficulté à cause de la foule en sens inverse.
– Vos confrères, monsieur le commissaire, me murmure Mme Mouratoglou en me montrant discrètement une ruelle sur notre gauche.
En guise de confrères, je vois surtout une brigade de policiers en grande tenue de combat : casque, bouclier et matraque. Ils ont barré la ruelle sur toute sa largeur et sont prêts à intervenir au moindre accroc. J’imagine le sermon que nous aurait seriné le ministre, voire tous les membres du gouvernement réuni, si nous mettions en faction quelques membres des MAT rue Santaroza ou encore rue Charilaou Trikoupi, également fréquentées. Nous aurions eu droit à toute la gamme de noms d’oiseau, allant du gentil « flicaillons » jusqu’au dédaigneux « fascistes », en passant par un hostile « mercenaires ».
– Ils sont là tous les soirs ou il y a quelque chose en particulier aujourd’hui ? dis-je à Mme Mouratoglou dans l’espoir d’en apprendre davantage.
– Je ne viens pas ici tous les soirs, comme vous savez. Mais ils y sont chaque fois que je passe dans ce quartier.
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C’est ainsi que le mariage à la mairie s’est déroulé dans l’allégresse d’une oraison funèbre, avec nous d’un côté, aussi amers qu’un café noir, et les parents de Phanis de l’autre, tirant des mines d’enterrement.
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j'ai juste tenté de calmer le jeu. Mais ma remarque obtient l'effet inverse.
- Tu dis ça parce que tu n'appartient pas à une minorité et tu ne sais même pas ce que cela veut dire, me rétorque-t-il avec véhémence. Tu ne peux pas comprendre ce que l'insécurité veut dire, ni la peur que l'on porte en soi, ni la haine qui peut se déchaîner à la moindre étincelle. Jamais une minorité n'a été comprise par ceux qui appartiennent au plus grand nombre. Moi, je comprends mieux la communauté roum que tu ne pourras jamais le faire.
je reçois cette dernière phrase en plein dans la figure, comme une gifle cinglante qui me met hors de moi.

p. 224
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    Thèmes : turquie , turc , Istanbul (Turquie) , littérature , histoire , culture générale , adapté au cinéma , adaptation , cinema , romans policiers et polars , roman noirCréer un quiz sur ce livre

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