Tchekhov, on le sait, n’aimait guère Dostoïevski – ni ses tempêtes métaphysiques ni ses idées messianiques sur le destin de la Russie. Il disait que les écrivains ne doivent pas dire aux gens comment ils doivent vivre, mais leur montrer comment ils vivent.
Et si l'Ukraine libérait la Russie ?
Cette phrase semble indécente alors que la guerre fait rage, que l'Ukraine est ravagée, que la Russie s'efforce de détruire toutes ses infrastructures civiles ; alors que l'on assiste, avec plus d'un quart de la population ukrainienne déplacée ou réfugiée dans d'autres pays, à un nettoyage ethnique sans précédent et que l'on découvre de jour en jour des dizaines et des dizaines de crimes de guerre perpétrés par l'armée russe : alors que c'est l'existence même de l'Ukraine qui est mise en cause par Vladimir Poutine. Et pourtant, je la répète, cette phrase : et si l'Ukraine libérait la Russie ? Si l'électrochoc provoqué par le désastre ukrainien arrivait, en Russie, à réveiller les consciences et à changer l'histoire russe ?
Les amis de Pouchkine, lisant ce poème en 1829, s'indignèrent de ce qu'ils virent comme un hymne à l'autocratie. Et c'est, de fait, un hymne - on pourrait croire manichéen - à Pierre le Grand et à la puissance de la Russie. Mais pourquoi "fracassant le verre" ? Le marteau a-t-il besoin de casser le verre pour forger l'acier ? C'est que le verre, dans la poésie russe, c'est une référence, là encore évidente, pour quiconque a un peu lu, à L'Epître sur le verre du premier grand poète russe, Mikhaïl Lomonossov (1711-1765) - qui expliquait que le verre est ce qu'il y a de plus précieux, parce qu'il est fragile, il montre la vérité, il permet de voir plus loin, et il n'existe pas dans la nature : il est une pure création humaine. Le verre, explique Lomonossov, résume toute la grandeur de l'homme. Et c'est donc cette humanité que détruit le "marteau pesant" qui forge l'Empire russe.