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Critique de berni_29


Et si l'Ukraine libérait la Russie ?
C'est par cette petite phrase un peu provocatrice qu'André Markowicz démarre cet essai totalement d'actualité et lui donne d'emblée le ton d'un pamphlet.
Écrit en avril 2022, c'est-à-dire à peine quelques semaines après le démarrage de l'entrée en guerre de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, - pardon « opération spéciale de dénazification » devrais-je dire puisque ce sont précisément ceux cités dans la communication officielle du Kremlin depuis le 24 février 2022, le propos de ce court texte d'une soixantaine de pages demeure toujours hélas d'actualité et si vrai, si inspirant, lui donnant toute son acuité au-delà des propos médiatiques un peu hâtifs traitant l'actualité à chaud et qui parfois nous abreuvent de tout et de son contraire...
Ici l'essai d'André Markowicz nous invite à prendre de la hauteur.
Mais qui est André Markowicz ? Ni historien ni politologue, il n'est même pas un spécialiste officiel de la Russie, bien qu'il la connaisse très bien. Connaisseur des grands auteurs classiques russes, grand traducteur d'écrivains tels que Fiodor Dostoïevski, Alexandre Pouchkine ou encore Anton Tchekhov, André Markowicz s'autorise à entrer par le truchement des belles lettres classiques pour nous dire que l'image de la grandeur russe et de sa culture en particulier, selon lui, a été salie pour longtemps.
Dès les premières pages, André Markowicz convoque un des auteurs qu'il affectionne le plus.
« le 24 février dernier, ce qui ma brutalement frappé, c'est que les premières batailles, près de Kharkov, se déroulaient sur le territoire même de la Cerisaie de Tchekhov, le « plus beau domaine du monde ». Bien sûr, on ne sait pas où elle est, cette Cerisaie, mais c'est à Kharkov que tout le monde s'en va à la fin. Ces pays, aujourd'hui de frontières, entre l'Ukraine et la Russie, ce sont les pays de Tchekhov... Tchekhov, dont toute l'oeuvre est une protestation contre la folie des potentats russes, un appel à soigner la folie des hommes et travailler à « réparer les vivants ». »
Il conclut d'ailleurs son pamphlet en évoquant ce même Tchekhov. Où se trouve aujourd'hui la Cerisaie, traversée de tranchées, sous des pluies de bombes ? Décidément, son propos m'encourage fortement à lire ce dramaturge russe en 2023.
Entre les deux, il nous invite à ironiser sur la petitesse et le ridicule d'un certain Vladimir Poutine, bombant son torse glabre sur un cheval ou devant un brochet qu'il vient de pêcher, celui qui se présente comme le seul phare capable de redorer le blason de la grande Russie sur son territoire d'origine. Mais ses sbires ne sont pas en reste, hommes politiques, ministres, généraux, oligarques, propagandistes de la télévision officielle, tous corrompus, détournant au passage des millions de roubles, ne serait-ce que dans le budget de l'Armée, obligeant les soldats russes du front à manger des plats avariés datant de 2005 !
On pourrait en rire, y lire une fable grotesque tiré d'un conte antique truculent, s'il n'y avait cette tragédie humaine, des deux côtés de la frontière d'ailleurs puisque de jeunes recrues russes sont envoyées par centaine de milliers dans une guerre dénuée de sens pour eux, comme de la vulgaire chair à canon. Ici, le ridicule tue, hélas !
L'histoire est un éternel recommencement, Poutine n'a rien inventé, ni la manipulation, ni la corruption, ni le mensonge... Peut-être les méthodes issues du KGB, et encore... le culte de la personnalité et de la barbarie, ce n'est peut-être pas lui, ni Ramzan Kadyrov, peut-être pas non plus Staline... Ne faudrait-il pas remonter à Nicolas 1er, dont ceux que je viens de citer sont les dignes et tristes héritiers ?
Oui il faut être irrespectueux envers les tyrans de ce monde, envers la barbarie humaine...
Les crimes de guerre commis par l'armée russe actuelle ne font que perpétrer l'histoire peu glorieuse de cette armée, dont le culte légendaire du viol auprès des femmes civiles ne date pas hélas de Boutcha. L'invasion de Berlin en mai 1945 par les alliés russes est peuplée de scènes aussi édifiantes que cruelles...
Et si l'Ukraine libérait la Russie ? Et si le désastre ukrainien parvenait, jusqu'en Russie, par un incroyable effet papillon, à réveiller les consciences de la population et à faire se retourner celle-ci contre ses tyrans, à changer le cours de l'Histoire russe qui s'écrit aujourd'hui dans le sang et la honte.
Oui je sais c'est une prophétie, un rêve illusoire peut-être, comme la célèbre incantation de « I have a dream » de Martin Luther King. Que peut-on attendre d'une population qui préfère le mensonge à la vérité ? Pourquoi le narratif de Poutine a-t-il eu un tel écho favorable auprès d'une large majorité de la population russe pour justifier cette « opération spéciale » en Ukraine ? Pour quelle raison cela prend-t-il aussi facilement ? Manipulation ? Ou servitude volontaire et totalement assumée ?
Pour arriver à imaginer une telle prophétie encore improbable pour moi en ce 1er janvier 2023, mais que je rêve de tout coeur voir se réaliser, André Markowicz nous fait traverser en quelques pages érudites et inspirées trois siècles d'histoire russe, de Pierre le Grand jusqu'à Poutine, produit fabriqué de toutes pièces et qui n'existe aujourd'hui que parce que les Russes l'ont bien voulu ainsi, démontrant ainsi par les faits historiques que l'asservissement à un narratif trouve sa genèse bien avant le conflit ukrainien. Certains rapprochements sont sidérants, jettent l'effroi...
Puisque l'Histoire n'est qu'un éternel recommencement, ne serait-il pas alors légitime d'imaginer qu'un jour se tienne un grand procès à la manière de celui de Nuremberg ?
Estimant que le régime de Poutine est aujourd'hui devenu la « honte de la Russie », ce pamphlet exhorte les Russes à passer de Dostoïevski à Tchekhov : c'est-à-dire à voir la réalité concrète, humaine et quotidienne à la manière de l'auteur de la cerisaie, et à rejeter une fois pour toutes « le mensonge de l'épopée ».
La vraie grandeur russe ne tient-elle pas aujourd'hui dans les textes de ces grands écrivains classiques ou contemporains ?
Comment alors ne pas être touché par ce dernier propos d'André Markowicz qui vient sceller son texte et l'ouvrir à notre réflexion ?
« Tchekhov, on le sait, n'aimait guère Dostoïevski – ni ses tempêtes métaphysiques ni des idées messianiques sur le destin de la Russie. Il disait que les écrivains ne doivent pas dire aux gens comment ils doivent vivre, mais leur montrer comment ils vivent.
Dans cette guerre, comme dans tout le reste, les Russes doivent passer de Dostoïevski à Tchekhov : voir la réalité, concrète, humaine, quotidienne de ce qui se passe. Rejeter le mensonge de l'épopée. Eh oui, donc, commencer à se voir, tels qu'ils sont. C'est alors, et alors seulement, que l'Ukraine – au prix de quelle catastrophe, de quelles tragédies – aura libéré la Russie. »
Ce soir, j'ai un rêve...
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