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Critique de Slava


Slava
03 février 2021
Le théâtre élisabéthain est un pan du théâtre européen méconnu en France mais dont la richesse et le foisonnement artistique dans la Renaissance anglaise a été déterminant dans l'histoire culturelle de l'île. Shakesepeare est celui qu'on connait le plus pour des raisons évidentes tant ses pièces sont aujourd'hui au répertoire mondial mais il ne fut pas le seul à briller sur la scène de Londres : d'autres dramaturges ont dont certains sont bien connus dans la littérature anglaise comme Ben Johnson, Thomas KydGeorge Peele. L'un d'eux a cependant marqué les esprits pour ses thèmes incendiaires, sa personnalité turbulente, les mystères l'entourant et les mythes qu'il a crée, un auteur légendaire de l'ère élisabethaine qui a influencé le jeune Shakespeare dont il fut le modèle : Christopher dit Kit Marlowe. Ce tragédien hors normes, au mode de vie iconoclaste (il fume le tabac, rit du dogme religieux et s'éprend de jeunes hommes dont il ne cache pas son attirance sexuelle auprès de ses collègues), arrêté un temps pour blasphème avant d'être relâché pour y mourir peu de temps après, poignardé à l'oeil, au cours d'une bagarre entre ivrognes dans une taverne miteuse à peine trente ans, n'a écrit que six pièces toutes flamboyantes toutes incarnés par des personnages dantesques et qui pourfendent sans pitié sur les vices humains, la religion et l'ambition demesurée qui habite tout homme quand il veut assouvir des désirs, qu'ils soient d'argent, de savoir où de reconnaissance, et pouvant le mener au désastre. La Tragédie du Docteur Faust est la plus important car elle n'est pas seulement son parangon de ses talents, elle a fondé un des mythes européens les plus connus qui a inspiré et continue d'inspirer des générations d'artistes, le mythe de Faust, de celui qui pactise avec le diable pour assouvir sa quête de savoir.
Inutile par conséquent de résumer le synopsis de la pièce montée en scène en 158 vous en conviendrez. Christopher Marlowe se base sur la vie d'un réel personnage ayant existé, Joann Georg Faust, un érudit allemand pratiquant l'alchimie, à l'existence brumeuse dont la mort soudaine donna lieu à des légendes sur un lien avec le diable. L'artiste a bien compris tout le potentiel créatif de ces conjectures autour d'un sulfureux occultiste. Il jette dans cette pièce tous les éléments capitaux d'un futur mythe qui lui seront définitivement associés : Mephistopheles, la quête du savoir, le pacte diabolique et la damnation. Mais la pièce n'est pas seulement que le destin tragique d'un assoiffé de toutes les connaissances de l'univers voulant dépasser ses capacités humaines, c'est avant tout un récit de son temps mais aux thèmes furieusement actuels.
Docteur Faust est l'homme du Moyen-Age s'embarquant dans une Renaissance incertaine, qui veut explorer plus que les limites de la scholastique et des conventions médiévales en homme moderne (de la Renaissance). Avec l'aide de Mephistopheles, il rejette la Théologie et tente de connaître des arts tenus interdits par la société. Il étrille l'hypocrisie religieuse en se moquant du pape et des sainte spreceptes et n'a de cure des limites entre la vie et la mort en invoquant des esprits décédés. Mais Faust oublie qu'à aller trop loin, on ne peut que tomber. Ses recherches 'scientistes' ne font que de l'emmener bas : nous sommes proche de la maxime de Rabelais quelques années plus tard, Science sans conscience n'est que ruine de l'âme.
Malgré l'avénement d'une époque qui arrache les oripeaux d'une religiosité traditionnelle, la peur du diable est là et empreigne la pièce, avec Mephistopheles autre personnage phare. Dans sa toute première apparition dans notre mémoire d'imaginaire, il est un joyeux luron qui se met au service du docteur pour ses besoins mais qui l'avertit constamment des risques qu'il court et regrette d'avoir été chassé du ciel pour avoir suivi Lucifer. Il est la mauvaise conscience qui susurre à l'âme humaine de plonger dans ses penchants humains au mépris des règles et de la morale. Cette personnalité ambigue fait qu'il est loin d'être un manipulateur opportuniste sadique vêtu de rouge comme il surgira par la suite dans d'autres fictions " faustiennes' . le surnaturel accompagne le singulier duo avec des scènes frappantes : ainsi la ronde des sept pêchés capitaux qui se matérialisent devant le Docteur Faust et surtout le plus fameux des passages de la pièce, l'apparition d'Hélène de Troie, la beauté de l'Antiquité ressucitée et de la poésie en général. Il n'y a pas la belle Marguerite de Goethe mais Hélène la préfigure bien que n'apparaissant qu'une fois et étant un spectre. de toute façon, les femmes sont bien rares dans cette pièce... Et que dire de la fin attendue mais déchirante de la mort de Faust, entraîné dans les flammes de l'Enfer dont les derniers mots clouent avec splendeur le spectacle ?
Quand on connait la vie personnelle de Christopher Marlowe, on ne peut qu'être ébahi de la similitude entre Docteur Faust et Kit, tous deux hommes aspirant à tout savoir sur la vie en général, brûlant les étapes pour y parvenir, n'ayant aucun scrupule à bafouer la moralité et qui décède dans la violence ? Voilà une pièce plus intimiste qu'on ne le croit et que n'importe quel penseur atypique que révulse tout type de crédo ne peut que s'identifier. Mais la pensée de Marlowe est tout aussi ambigue lors du final où l'homme de raison et du savoir implore le ciel de le sauver des flammes... il ne semble pas rejeter Dieu mais plutôt critiquer les institutions , une procédure devenant constante dans un siècle qui connait la Réforme et les conflits entre protestants et catholiques.
Et quelle richesse dans la langue ! Christopher Marlowe ayant été un universitaire et surtout un amoureux de la culture antique, il s'en donne à coeur joie, emploie avec une préciosité époustouflante mais qui ne cache jamais le ton acéré qui vivote dans la pièce. C'est là cependant ce qui peut rébuter ceux qui veulent le lire, il est exigeant et alambiqué mais très beau à lire.
En revanche, on constate les mutilations et changements du texte. Au XVIeme siècle, le texte dramatique pouvait souvent être modifié à loisir par des éditeurs arrivistes ne se souciant guère du droit d'auteur qui ne commence tout juste à balbutier. Les passages farcesques sont d'une faiblesse, qui reflète cependant l'ambivalence du théâtre au temps de la reine Elisabeth alternant le comique à la tragédie.
Goethe, Berlioz, Boulghakov et d'autres ont suivi une voie pavé par Marlowe qui mérite d'être redécouvert en France et lu surtout pour cette pièce mémorable pour ses questionnements qui nous semblent si contemporains sur la morale, la science qui va trop loin, les idéologies religieuses et la volonté de tout connaître au risque d'oublier ses humilités et de ses limites humaines, avec un anti-héros passionnant et d'un compère tout aussi fouilli. Lire la Tragédie du Docteur Faust c'est redécouvrir un mythe et ses aphorismes touchant à l'humain et à la foi.
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