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Voici le Faust des origines. Moins connu que celui de Goethe, il en est pourtant de 200 ans l'ancêtre. À ce titre, il peut être intéressant de noter qu'on retrouve des bribes de celui-ci tant dans le Faust I que dans le Faust II de Goethe, preuve, s'il en était besoin, de son statut de modèle pour le poète allemand.

Christopher Marlowe, né la même année que Shakespeare mais mort malheureusement beaucoup plus tôt (à 29 ans) et dans des conditions nimbées de mystère, nous a malgré tout légué quelques petits trésors. Il faut en effet s'imaginer un poète jeune, plein de fougue et d'entrain, furieusement décidé à faire évoluer son art et à oser des choses jusqu'alors inédites, littérairement et scéniquement parlant.

C'est toujours assez difficile pour nous, depuis notre perchoir des ans, nous qui considérons trop souvent ces auteurs d'antan comme de vieilles reliques poussiéreuses comme d'authentiques innovateurs plein de jus et d'énergie.

Je ne chercherai pas à vous en faire accroire en montant ce Faust aux nues. Ce n'est pas une pièce sans défaut. Son début est un peu poussif, son déroulement, au contraire, un peu trop accéléré. Il y a probablement un peu trop de citations latines, etc., etc.

Mais imaginez tout de même que le mythe naît ici. " Vendre son âme au diable ", " faire un pacte de sang ", " être une âme damnée ", toutes ces expressions ordinaires naissent ici, sous vos yeux.

Imaginez de plus que nous sommes sur la scène du théâtre élisabétain à la fin du XVIe siècle — non vous ne rêvez pas, XVIe siècle ! — et ce que vous propose Christopher Marlowe, ce n'est ni plus ni moins que des effets spéciaux (disparitions, transformations, membres arrachés sur scène sous l'effet de la magie) ce qui est tout de même assez osé pour l'époque.

Sans compter l'intérêt philosophique de cette pièce. Si Marlowe nous endort un peu avec ses cargaisons de latin, c'est que le latin est la langue véhiculaire de la science (et aussi de la religion) et que tout tourne autour des mérites respectifs de l'une ou de l'autre.

Les gens qui s'adonnaient à la science n'étaient-ils pas des émissaires du diable ? La montée en puissance de la science dans la société et parmi les hautes sphères du pouvoir n'allait-elle pas mettre à mal la pensée religieuse et la foi, alors toute puissante ?

L'autre splendide questionnement auquel nous convie Marlowe est bien évidemment à mettre au compte des jouissances humaines. Lorsque nous pouvons tout posséder sur l'instant, lorsque nous pouvons profiter de tout quand nous le désirons, sans la moindre difficulté, les choses et les plaisirs ont-ils encore un prix ? Passés les premiers instants de cette jouissance, la vie n'a-t-elle pas une saveur invariablement insipide ?

Faust est un grand docteur, probablement le plus grand savant de son temps, mais il veut plus (Ah ! le démon de l'ambition !). Ses grimoires et ses formules ne lui suffisent plus, il veut l'omnipotence et le seul à même de lui procurer cette omnipotence, c'est Lucifer.

Aussi Faust convie-t-il son messager, Méphistophélès, et, après une très courte lutte de conscience, se résout facilement à faire don de son âme au diable moyennant vingt-quatre années de vie terrestre où il pourra plier tout et tout le monde à son bon plaisir, sans limite à sa puissance ni à sa volonté...

Bref, une courte pièce en quatre actes qui se lit vite, facilement (sauf le latin) et qui aura marqué son temps et par delà, toute l'histoire de la pensée et de la littérature occidentale. Vous trouverez peut-être que j'en rajoute un peu, mais ne m'en veuillez pas, ce n'est pas ma faust, quand on assiste à la naissance d'un mythe, il faust ce qu'il faust, d'ailleurs ce n'est là que mon avis (non taché de sang) c'est-à-dire pas grand-chose.
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J'ai découvert l'existence de Christopher Marlowe dans un film, Shakespeare in Love, où le jeune homme apparaissait comme rival plus doué, ou plus chanceux, du jeune Shakespeare. Une seule de ses pièces est mentionnée : « Massacre à Paris », de même que l'assassinat du poète.
Puis j'ai appris qu'il a lancé le mythe moderne de Faust. Secouant tous ces éléments dans un sac, il en est sorti que je devais aller voir de plus près.

Un type intéressant, ce Marlowe. Érudit, c'est sûr ! Son savoir, que s'approprie le docteur Faustus, fuite de chacun de ses vers. Marlowe aligne citations latines non traduites et connaissances antiques ou astronomiques qui devaient laisser pantois le spectateur lambda et enchanter le biographe moderne. Visiblement anticonformiste, quoique n'hésitant pas à s'appuyer pour son succès sur l'antipapisme baignant l'Angleterre depuis que « l'Invincible Armada » espagnole était allée bouffer les pissenlits marins agrémentés au sel de mer par la racine. Ajoutons une carrière d'espion à la Beaumarchais, cela donne une idée de l'atypisme du personnage.

Et cette pièce fondatrice du mythe alors ? Au début Faust chante ses connaissances qui ne devaient guère être compréhensible par le spectateur, lui laissant une vague impression d'avoir affaire à une grosse tête. Mais Faust est blasé. Il se tourne vers la magie, convoque Méphistophélès et négocie son fameux marché : vingt-quatre ans de vie omnipotente contre son âme à Lucifer à la fin.
Faust devient-il omniscient ? Bof. Les réponses de Méphistophélès à ses questions sur les secrets de l'univers évoquent plutôt un enfumage qu'autre chose. En même temps, je pouvais difficilement m'attendre à voir le prince de l'Enfer énoncer la théorie du big-bang.

Le brave diable se révèle bien plus efficace dans la série de farces qui suit et qui m'a beaucoup amusé. Car Faust et Méphistophélès vont passer leur temps à humilier presque tout et quasi chacun. le pape est la première victime ; anticatholicisme oblige, on imagine les applaudissements du public londonien. Puis ce seront le charretier et le maquignon du coin. C'est sûr on se marre, et je ne m'en suis pas privé. Marlowe joue beaucoup avec les métamorphoses – il connait son Ovide l'animal – et je n'ai pas pu m'empêcher de faire un rapprochement avec le Songe d'une Nuit d'Été et sa tête d'âne apposée sur le corps du pauvre Bottom. Vu les dates, Shakespeare a piqué l'idée à Marlowe.

Mais le bon temps de Faust a une fin et il faut payer l'addition à Lucifer au dernier acte. On ne peut pas dire que le savant soit très impressionnant pour ses derniers sursauts. Il ferait plutôt pitié. J'avais plus apprécié l'arrogance humaine de Dom Juan face à la statue du commandeur.
J'ai eu également un peu de mal avec cette main de Dieu tendue vers le pêcheur suprême que représente Faust. Dieu lui accorde sa grâce, malgré tout ce qu'il a fait, mais le fait qu'il ait craché sur son nom pendant un quart de siècle. Mais bon, je ne suis pas protestant. La grâce accordée quelles que soient les actions de l'homme est un concept que je trouve dur à avaler.
Main tendue, encore faudrait-il que Faust puisse l'attraper, et Méphistophélès et Lucifer veillent au grain.

Impression globale ? Pas mal. Intéressant surtout parce que la pièce dit du temps où elle a été écrite et par la maîtrise de la farce.
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Au début de la pièce, Faust vend son âme au diable à Lucifer et Belzébuth, en échange de quoi, pendant vingt-cinq ans, le démon Méphistophélès sera à son service et à ses ordres. Tout au long des scènes, on voit comment il emploie son pouvoir : à jouer des tours pendables aux uns et aux autres, dont au Pape, et impressionner Charles Quint en faisant se produire devant lui Alexandre le Grand et sa maîtresse... A l'issue de la pièce, les vingt-cinq ans ont passé, et Faust prend conscience du destin qu'il va lui falloir affronter... Brrrr

Marlowe est contemporain de Shakespeare, et on retrouve chez lui l'humour, les jeux de mots et les "effets spéciaux" de son compatriote.

J'ai beaucoup aimé cette pièce, et j'ai largement préféré la version de Marlowe à celle de Goethe.
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Puisque je venais de lire le [Faust] de Goethe, je me suis dit que c'était le moment où jamais de lire cette version antérieure de quelques siècles du fameux mythe. Christopher Marlowe, l'enfant maudit du théâtre élisabéthain livre ici une pièce qui n'a pas dû être facile à monter tant elle regorge de scènes qui demandent de recourir à des « effets spéciaux » (un bel anachronisme que je fais ici, je pense…).
C'est un autre anachronisme que de la comparer à la version de Goethe qui lui est donc largement postérieure, mais l'ordre de ma lecture m'y a poussée, et on sent que le Faust de Christopher Marlowe est moins complexe que celui de Goethe, les scènes un peu bouffonnes trop nombreuses à mon goût, les références au contexte politique de l'époque plutôt amusantes. Mais le mythe est déjà là, les frictions entre religion et savoir, entre pouvoir et vouloir, entre damnation et rédemption sont toutes en place et commencent à se tendre.

S'il ne fallait lire qu'une des deux pièces, c'est celle de Goethe que je conseillerais, mais celle-ci est très intéressante d'un point de vue culturel, pour ce qu'elle dit d'une époque et d'un théâtre que l'on réduit trop souvent à la seule figure de Shakespeare et pour ce qu'elle montre de l'éclosion et de la maturation d'un mythe.
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De fait tout est passé en revue de façon très correctement et avisée
Marlowe en son temps encore maintenant " Tout Puissant " écrivain novateur précurseur de ce qui fut décrié des la plus haute Antiquité
O tempora o mores
Les mêmes constatations les mêmes demandes de réponses
L'écrivain qui interpelle en en appelant à nos propres ressources à bien y réfléchir sinon y apporter déjà les réponses

Le mythe BIEN MAL.
LES éléments religiosite OU RELIGION.
les chances de se remettre en avant celles de notre salut
Époque contemporaine revisitée
En pertes de repères et prête à tout pour y parvenir à ses fins de réussite acharnée
Mais à quel prix
Intéressant hautement
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La légende de Faust aurait eu sa source dans la vie d'un certain Georg Faustus (1466-1539), diplômé de l'université d'Heildelberg, médecin, astrologue, il s'adonne à la magie noire, bénéficie de soutien de gens haut placés. Il mène une vie errante.

Diverses chroniques paraissent en Allemagne, évoquant ce personnage devenu à demi légendaire. En 1587 paraît le Faustbuch, un petit livre intitulé Histoire du docteur Faust, très célèbre magicien et nécromant. Il s'agit de mettre en garde les chrétiens, les inviter à se méfier du diable et de la magie, le Faust de ce livre n'a plus rien à voir avec son modèle historique.

En 1588 paraît le Faustbook, la version anglaise de Faust, l'auteur du texte demeure incertain, c'est la première traduction du texte allemand dans une autre langue. Il s'agit d'une traduction à la mode de l'époque, c'est-à-dire d'une adaptation très libre de l'original, avec des ajouts et des coupures.

La pièce de Marlowe est datée selon les sources soit de 1589, soit de 1592 ou 1593, certains la considèrent comme sa dernière pièce. Si la pièce est donnée à plusieurs reprises après la mort de l'auteur, ce n'est qu'en 1604 qu'elle paraît pour la première fois en volume (texte A). En 1616 paraît un texte significativement différent appelé texte B, il est plus long que l'autre, même si le texte A contient quelques passages absents du texte B.
Dans le texte de l'édition bilingue de GF que j'ai lu, le traducteur a choisi de présenter un mélange des deux textes, en essayant de donner la version la plus complète de la pièce.

L'histoire de Faust est suffisamment connue pour ne pas nécessiter de résumé très long ; le très savant docteur Faust a la sensation d'avoir fait le tour des connaissances accessibles à un homme, et décide de se consacrer à la magie noire. Il invoque le Diable et lui vend son âme pour en faire son serviteur, et obtenir la toute puissance pendant 24 ans. Il profite de ses pouvoirs pendant le laps du temps qui lui est imparti, devient l'ami des puissants, ridiculise qui lui déplaît, mais parvenu à la fin des années imparties, il n'a plus qu'à attendre dans l'angoisse la venue du démon venu réclamer son dû.

Faust choisi en quelque sorte de ne pas sauver son âme, de ne pas se repentir.

C'est un texte très étrange, très composite. Il y a, avant les actes et à la fin de la pièce, l'intervention d'un choeur, comme dans le théâtre antique. Les références à l'Antiquité, en particulier mythologique sont d'ailleurs très nombreuses dans la pièce. le moyen-âge aussi est très présent, les moments de farce, très nombreux, font penser aux farces du moyen-âge. La thématique de l'homme qui se damne, en particulier en ayant vendu son âme au diable, est aussi une thématique du moyen-âge, il s'agissait de mise en garde, et aussi d'une démonstration de la toute puissance divine, qui peut sauver une âme repentante, quelque soit ses pêchés, comme par exemple dans le miracle Théophile, ou la Vierge, sauve le pêcheur qui a pourtant signé un pacte avec le démon, pacte déchiré par la Vierge, qui démontre ainsi sa supériorité sur le diable.
Mais ce qui appartient à la Renaissance, c'est la remise en cause du désir d'être sauvé, Marlowe a été accusé d'athéisme, et son personnage semble savoir que s'il acceptait de se repentir, il pourrait échapper à son funeste destin. Mais d'une certaine façon, il préfère garder son orgueil, ne pas s'humilier à demande pardon, et rester lui-même quitte à payer le prix fort. En fait il ne regrette pas ce qu'il a fait, mais juste que les bonnes choses, la puissance, et la satisfaction de tous ses désirs doivent s'arrêter. Il voudrait en fait pouvoir signer un deuxième pacte diabolique.

Pièce étranges, troublante, mais j'ai été gênée par le parti pris du traducteur de donner un texte exhaustif, très long. Les intermèdes comiques, qui pour certains impliquent d'autres protagonistes, ne sont pas forcement passionnants, et un peu répétitifs. Sans doute ils étaient appréciés sur scène de leur temps, mais de nos jours en lecture, ne sont pas d'un très grand intérêt. Il semblerait qu'ils ne soient en plus pas forcement tous de Marlowe. Une version plus resserrée serait à mon sens plus intéressante.
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Le théâtre élisabéthain est un pan du théâtre européen méconnu en France mais dont la richesse et le foisonnement artistique dans la Renaissance anglaise a été déterminant dans l'histoire culturelle de l'île. Shakesepeare est celui qu'on connait le plus pour des raisons évidentes tant ses pièces sont aujourd'hui au répertoire mondial mais il ne fut pas le seul à briller sur la scène de Londres : d'autres dramaturges ont dont certains sont bien connus dans la littérature anglaise comme Ben Johnson, Thomas KydGeorge Peele. L'un d'eux a cependant marqué les esprits pour ses thèmes incendiaires, sa personnalité turbulente, les mystères l'entourant et les mythes qu'il a crée, un auteur légendaire de l'ère élisabethaine qui a influencé le jeune Shakespeare dont il fut le modèle : Christopher dit Kit Marlowe. Ce tragédien hors normes, au mode de vie iconoclaste (il fume le tabac, rit du dogme religieux et s'éprend de jeunes hommes dont il ne cache pas son attirance sexuelle auprès de ses collègues), arrêté un temps pour blasphème avant d'être relâché pour y mourir peu de temps après, poignardé à l'oeil, au cours d'une bagarre entre ivrognes dans une taverne miteuse à peine trente ans, n'a écrit que six pièces toutes flamboyantes toutes incarnés par des personnages dantesques et qui pourfendent sans pitié sur les vices humains, la religion et l'ambition demesurée qui habite tout homme quand il veut assouvir des désirs, qu'ils soient d'argent, de savoir où de reconnaissance, et pouvant le mener au désastre. La Tragédie du Docteur Faust est la plus important car elle n'est pas seulement son parangon de ses talents, elle a fondé un des mythes européens les plus connus qui a inspiré et continue d'inspirer des générations d'artistes, le mythe de Faust, de celui qui pactise avec le diable pour assouvir sa quête de savoir.
Inutile par conséquent de résumer le synopsis de la pièce montée en scène en 158 vous en conviendrez. Christopher Marlowe se base sur la vie d'un réel personnage ayant existé, Joann Georg Faust, un érudit allemand pratiquant l'alchimie, à l'existence brumeuse dont la mort soudaine donna lieu à des légendes sur un lien avec le diable. L'artiste a bien compris tout le potentiel créatif de ces conjectures autour d'un sulfureux occultiste. Il jette dans cette pièce tous les éléments capitaux d'un futur mythe qui lui seront définitivement associés : Mephistopheles, la quête du savoir, le pacte diabolique et la damnation. Mais la pièce n'est pas seulement que le destin tragique d'un assoiffé de toutes les connaissances de l'univers voulant dépasser ses capacités humaines, c'est avant tout un récit de son temps mais aux thèmes furieusement actuels.
Docteur Faust est l'homme du Moyen-Age s'embarquant dans une Renaissance incertaine, qui veut explorer plus que les limites de la scholastique et des conventions médiévales en homme moderne (de la Renaissance). Avec l'aide de Mephistopheles, il rejette la Théologie et tente de connaître des arts tenus interdits par la société. Il étrille l'hypocrisie religieuse en se moquant du pape et des sainte spreceptes et n'a de cure des limites entre la vie et la mort en invoquant des esprits décédés. Mais Faust oublie qu'à aller trop loin, on ne peut que tomber. Ses recherches 'scientistes' ne font que de l'emmener bas : nous sommes proche de la maxime de Rabelais quelques années plus tard, Science sans conscience n'est que ruine de l'âme.
Malgré l'avénement d'une époque qui arrache les oripeaux d'une religiosité traditionnelle, la peur du diable est là et empreigne la pièce, avec Mephistopheles autre personnage phare. Dans sa toute première apparition dans notre mémoire d'imaginaire, il est un joyeux luron qui se met au service du docteur pour ses besoins mais qui l'avertit constamment des risques qu'il court et regrette d'avoir été chassé du ciel pour avoir suivi Lucifer. Il est la mauvaise conscience qui susurre à l'âme humaine de plonger dans ses penchants humains au mépris des règles et de la morale. Cette personnalité ambigue fait qu'il est loin d'être un manipulateur opportuniste sadique vêtu de rouge comme il surgira par la suite dans d'autres fictions " faustiennes' . le surnaturel accompagne le singulier duo avec des scènes frappantes : ainsi la ronde des sept pêchés capitaux qui se matérialisent devant le Docteur Faust et surtout le plus fameux des passages de la pièce, l'apparition d'Hélène de Troie, la beauté de l'Antiquité ressucitée et de la poésie en général. Il n'y a pas la belle Marguerite de Goethe mais Hélène la préfigure bien que n'apparaissant qu'une fois et étant un spectre. de toute façon, les femmes sont bien rares dans cette pièce... Et que dire de la fin attendue mais déchirante de la mort de Faust, entraîné dans les flammes de l'Enfer dont les derniers mots clouent avec splendeur le spectacle ?
Quand on connait la vie personnelle de Christopher Marlowe, on ne peut qu'être ébahi de la similitude entre Docteur Faust et Kit, tous deux hommes aspirant à tout savoir sur la vie en général, brûlant les étapes pour y parvenir, n'ayant aucun scrupule à bafouer la moralité et qui décède dans la violence ? Voilà une pièce plus intimiste qu'on ne le croit et que n'importe quel penseur atypique que révulse tout type de crédo ne peut que s'identifier. Mais la pensée de Marlowe est tout aussi ambigue lors du final où l'homme de raison et du savoir implore le ciel de le sauver des flammes... il ne semble pas rejeter Dieu mais plutôt critiquer les institutions , une procédure devenant constante dans un siècle qui connait la Réforme et les conflits entre protestants et catholiques.
Et quelle richesse dans la langue ! Christopher Marlowe ayant été un universitaire et surtout un amoureux de la culture antique, il s'en donne à coeur joie, emploie avec une préciosité époustouflante mais qui ne cache jamais le ton acéré qui vivote dans la pièce. C'est là cependant ce qui peut rébuter ceux qui veulent le lire, il est exigeant et alambiqué mais très beau à lire.
En revanche, on constate les mutilations et changements du texte. Au XVIeme siècle, le texte dramatique pouvait souvent être modifié à loisir par des éditeurs arrivistes ne se souciant guère du droit d'auteur qui ne commence tout juste à balbutier. Les passages farcesques sont d'une faiblesse, qui reflète cependant l'ambivalence du théâtre au temps de la reine Elisabeth alternant le comique à la tragédie.
Goethe, Berlioz, Boulghakov et d'autres ont suivi une voie pavé par Marlowe qui mérite d'être redécouvert en France et lu surtout pour cette pièce mémorable pour ses questionnements qui nous semblent si contemporains sur la morale, la science qui va trop loin, les idéologies religieuses et la volonté de tout connaître au risque d'oublier ses humilités et de ses limites humaines, avec un anti-héros passionnant et d'un compère tout aussi fouilli. Lire la Tragédie du Docteur Faust c'est redécouvrir un mythe et ses aphorismes touchant à l'humain et à la foi.
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Marlowe nous livre ici une première trace écrite du mythe du docteur Faust, ancien compte allemand à tradition orale. le docteur Faust est un érudit allemand ayant étudié médecine, logique, religion et droit, qui trouve la vie beaucoup trop courte pour accumuler les connaissances de l'humanité. Sa frustration, et son avidité pour le savoir le pousse à conclure un pacte avec le diable. Cependant, celui-ci va le rattraper bien vite...
Une belle pièce pour appréhender ce personnage qui sera repris par une multitude d'auteurs...
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La tragédie "Doctor Faustus" de l'Anglais Christopher Marlowe, composée en 1593, constitue la première grande oeuvre littéraire qui a pour sujet Faust. Elle est néanmoins précédée du "Volksbuch", texte allemand de 1587, premier Faust écrit, que Marlowe lira dans sa traduction anglaise de 1592.
Il ne semble pas nécessaire de revenir sur la personnalité dissidente de Christopher Marlowe ni sur les circonstances de sa fin tragique, qui ont déjà été décrites ici, si ce n'est pour préciser que les héros de ses tragédies sont comme lui des rebelles qui connaissent des morts atroces.
Marlowe partage avec Faust son intellectualisme et son caractère d'homme d'action dissident, turbulent, voire violent, dont l'exemple invite de manière détournée à sortir des sentiers battus. Ils ont également en commun une mort épouvantable, Marlowe étant mort assassiné dans des circonstances troubles et Faust finissant démembré par ses disciples.
Ainsi chez Marlowe se trouve le premier exemple d'une véritable identification de l'écrivain à Faust, qui est commune à tous les auteurs qui s'emparent de la légende. Car la figure du savant Faust est la source de toute une interrogation sur la condition humaine, depuis les premiers textes écrits jusqu'aux réécritures contemporaines. Ici nous avons un exemple doublement intéressant : en plus de l'identification de l'auteur au personnage, la vie intellectuelle de Marlowe et sa fin horrible coïncident étrangement avec le parcours de Faust lui-même.
Faust, terriblement avide de savoir, vend son âme au diable pour obtenir les faveurs d'un démon à son service. Ici nous avons pour la première fois le monologue constitutif de Faust, qui sera repris dans tous les « Faust » ultérieurs. Puis l'invocation à Méphistophélès suivie du pacte. Ensuite diverses péripéties où Faust assiste à la parade des sept péchés capitaux, sème le trouble au banquet du pape, rend visite à l'empereur qui lui demande de faire apparaître Hélène, la belle que Faust désire et qui précipitera sa perte. Pas de Marguerite, qui est une invention de Goethe. Cette pièce est marquée par une alternance de tragique et de comique, de sérieux et de burlesque, qui permet de détendre le public, et qui fait écho au théâtre antique.
Alors que dans le "Volksbuch" primitif, il était animé d'une soif inextinguible de savoir, chez Marlowe, Faust repousse tout le savoir pour se livrer à la magie et à la puissance : il veut "devenir Dieu". Faust a la nostalgie de la mythologie ; la magie est alors un moyen de faire revivre un passé glorifié et idéalisé, dans lequel Hélène représente une forme de libertinage non encore entaché de péché. Cependant Hélène, cette Beauté idéale, a partie liée avec le Malin : son baiser "aspire et arrache l'âme". le baiser d'Hélène symbolise l'aveuglement du héros, qui est là pour montrer la faillite des grands élans humains qui ne mènent qu'à des réalisations ridicules.
Pour reprendre les termes de la présentation de cette édition, le Faust de Marlowe est comme "une autobiographie spirituelle d'une époque marquée par le doute". En tant qu'homme de la Renaissance, Faust est au coeur d'un vaste conflit d'idées qui ne sont plus celles du Moyen Âge et qui ne sont pas encore tout à fait celles de la modernité.
Faust façonne une mentalité collective sensibilisée au choix risqué du libre arbitre dans un contexte d'emprise des consciences, perpétré par l'obscurantisme religieux et l'absolutisme politique.
Avec la pièce de Marlowe, Faust arrive au théâtre et connaît une grande popularité, favorisant le développement de spectacles offrant de multiples formes d'attractions divertissantes : ballets, illuminations, machineries, chansons, mise en scène des horreurs des enfers. Ces spectacles donnent lieu également à la diffusion de nombreuses gravures figurant la chute des anges, les sept péchés capitaux, les visions de l'enfer, etc. La question de la transgression concrétisée par le pacte diabolique s'en trouve donc popularisée.
"Le Docteur Faust" de Marlowe n'a été traduit en allemand qu'en 1818 et en français en 1850.
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On ne retient en général de l'histoire de Faust (dont la tradition remonte au moyen-âge allemand) que le côté tragique : celui d'un homme condamné par son inextinguible soif de savoir, qui vend son âme au diable dans l'espoir de pouvoir enfin l'étancher.
L'approche de Marlowe, elle, même comédie et tragédie. Parmi les deux versions ayant survécu, l'une présente un Faust condamné par avance dans un jeu divin cynique. L'autre met en avant la responsabilité du savant dans sa damnation. Quoi qu'il en soit, l'issue ne change pas : Marlowe nous brosse, par des dialogues endiablés et des monologues sulfureux, le portrait d'un homme dans toute sa faillibilité, incapable de se repentir pour ses fautes, même au seuil du trépas, dans une sarabande à la fois tragique et hilarante.
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