Allen arriva dans l’antichambre, au sommet de l’escalier, Freddie sur ses talons. Il demanda à Mrs. Stimler, la secrétaire, s’il y avait des messages. Mrs. Stimler était une veuve aux cheveux gris et à l’œil vague derrière des lunettes à double foyer, vêtue d’un hideux twin-set désassorti. En guise de perles, elle portait au cou une clef au bout d’une ficelle. Ses cheveux étaient protégés par un bonnet de douche en plastique. Sa machine à écrire silencieuse était poussiéreuse et son bureau couvert de bric-à-brac. Elle contempla aimablement les deux frères tout en continuant de découper des recettes dans un magazine féminin.
« Oui. Votre père a téléphoné. Il veut que vous le rappeliez », dit-elle d’une voix de fausset.
Allen et Freddie se regardèrent en haussant les sourcils et soupirèrent.
« Euh… Mrs. Stimler, notre père est décédé il y a cinq ans », lui fit gentiment remarquer Allen.
Mrs. Stimler posa ses ciseaux. « C’est juste. Vous voulez que je l’appelle pour vous Mr. Allen ? »
Allen se prit la tête à deux mains et fit un sérieux effort pour garder son calme.
« Non, non, non, je m’en occuperai moi-même. Vous n’avez qu’à… continuez votre travail. »
Docilement, Mrs. Stimler reprit ses ciseaux et sa tâche.
« Hello ! roucoula Mrs. Stimler en levant les yeux de son crochet. Vous n’êtes pas en avance ce matin, Mr. Bauer. Et qu’est-ce qui est arrivé à votre tête ? Les plombs on sauté ? »
Allen extirpa du chaos qui régnait sur le bureau de sa secrétaire la modeste pile de courrier qui lui était destinée.
« Non, non, Mrs. Stimler. J’ai été heurté par un bateau, c’est tout. »
Elle le regarda à travers ses double-foyer avec une compassion distante. Malgré la douleur, Allen écarquilla les yeux. Mrs. Stimler portait son soutien-gorge Playtex Cœur-Croisé, taille 95 C, par-dessus son corsage, informe et taché.
« Euh… Mrs. Stimler…
- Oui, Mr. Allen ? »
Allen considéra l’échafaudage de dentelle qui soutenait avec bonheur l’ample poitrine de sa secrétaire, offerte à l’admiration de tous. Il renonça.
« Non, non… ce n’est rien, marmonna-t-il.
- Ça fait plaisir de vous voir de retour », dit-elle avec un sourire mutin.
« Dites donc, Allen, où est-elle votre sensationnelle beauté ?
- Elle ne viendra pas aujourd’hui, okay ? cria-t-il. Vous voulez vous faire rembourser ? »
Dans les rangs du fond, des têtes se tournèrent.
« Allen, je suis navré d’apprendre…
- Elle m’a quitté ! Elle a foutu le camp, ma vie n’est plus qu’un champ de ruines ! Bon, voilà pour les nouvelles. Vous voulez la météo maintenant ? hurla-t-il… N’importe où sauf les dans les trois premiers rangs ! »
« Que s’est-il passé ? demanda Buyrite. »
Freddie réfléchit à toute vitesse.
« Le téléphone ! s’exclama-t-il.
- Le téléphone ?
- Ouais. Vous comprenez, il était au téléphone quand la grenade a explosé et depuis… eh bien, il s’enfuit ; il saute dans une voiture et il fiche le camp, expliqua Freddie comme si tout cela était un modèle de logique. »
« Vous voulez l’essayer ? » demanda aimablement Dora, qui tapota sa mise en plis sophistiquée en passant devant une glace. « Laissez-moi vous aidez. Qui sait… C’est peut-être tout à fait vous ! En tout cas, ce n’est pas moi ! Je ne pourrai même pas fourrer une jambe là-dedans. Ma fille a de la chance, elle. Elle est anorexique. »