Alexandre Dumas le disait bien, en bon amant de ces dames qu'il était : étreindre une comédienne, ce n'est pas seulement étreindre une femme, mais c'est serrer dans ses bras tous les personnages qu'elle a joués, tous les rôles qu'elle a interprétés. C'est qu'il s'y connaissait en actrices, le coquinou ! Mais il faut reconnaître qu'il n'était pas le seul à nourrir de tels fantasmes. Au XIXe siècle, la comédienne est au coeur des rêveries le plus folles. On l'imagine serpent tentateur, femme fatale aux regards provocateurs et aux tenues affriolantes, mais également victime innocente, agneau sacrifié sur l'autel des
Beaux-Arts, ou même bohémienne affamée de liberté. Elle se situe à mi-chemin entre l'ange et le démon, ange par la grâce de son talent, démon par ses moeurs dissolus condamnés sévèrement par l'Eglise et la bonne société.
On s'en doute, la réalité est toute autre. Et c'est cette réalité qu'
Anne Martin-Fugier va faire en sorte de dépoussiérer en se penchant sur le destin de quelques-unes de ces femmes admirables et admirées. Elle les suivra depuis leur premier pas sur les planches – souvent à un âge extrêmement tendre – jusqu'au déclin de leur carrière, en passant par les tournées internationales, les dîners mondains, les interminables séances de répétition et tous les évènements qui rythmaient la vie d'une actrice à la mode. Elle s'intéressera aux grands noms immortalisés par l'Histoire, tels que
Sarah Bernhardt, Mademoiselle Mars,
Marie Dorval ou Rachel, mais également à ceux plus méconnus, pauvres femmes condamnées à subir l'oubli après quelques années d'une gloire fugitive. de ces femmes de vent et de papier, elle fera des êtres réels, de chair et de sang, que nous prendrons plaisir à découvrir et à côtoyer, le temps de quelques centaines de pages.
Loin de s'en tenir à une longue suite d'anecdotes – ce qui aurait déjà été intéressant en soit –
Anne Martin-Fugier engage une véritable réflexion sur la place de l'actrice dans la société du XIXe siècle et, par la même occasion, sur cette société elle-même, ses faux-semblants et ses hypocrisies. Avec l'évolution du statut de comédienne, passant de celui de paria admiré mais rejeté à celui de modèle à suivre, c'est tout un monde qui évolue, quittant les turbulences romantiques du début du siècle pour rentrer dans le pragmatisme de la Révolution Industriel. La société, comme la comédienne, s'assagit. L'actrice perd alors son côté marginal, mais également une part de sa magie, pour devenir une femme respectable, doublée d'une professionnelle travailleuse.
En conclusion, une étude fascinante et très riche dont la lecture aura fait remonter de nombreux livres sur ma liste de lecture, notamment la « Double vie » de
Sarah Bernhardt. A conseiller à tous les amoureux de la scène et du XIXe siècle.