Pour la sauvage que j’étais, me retrouver propulsée au milieu de tous ces gens, ces inconnus qui travaillaient avec fougue, étaient en couple pour certains, le choc avait été rude, tant j’étais en décalage avec eux. Vasco était arrivé après tout le monde. Il avait fait sa ronde de bises, moi comprise, il m’avait dit « ravi de te rencontrer, Madeleine » et avait enchaîné sur la personne suivante. J’avais passé l’apéritif assise sur un coin de canapé, sans ouvrir la bouche, me contentant de les observer – lui particulièrement.
À vingt-cinq ans, je ne savais pas quoi faire de ma vie. Sans diplômes, et après une période sombre de deux longues années, je travaillais dans le restaurant de mes parents, sans plus d’ambitions ni savoir qui j’étais. Je n’attendais rien. Sinon que le temps passe.
Toute la tendresse, l’amour absolu qu’il vouait à notre fille, transparaissait dans son intonation. Simplement, il fallait qu’il trouve quelqu’un sur qui se défouler. La seule personne contre laquelle il aurait été incapable d’élever la voix en sa présence. Lui et moi le savions.
Je souris, savourant son affection. Je ne pensais pas que ce soit possible, mais mon ex-mari et père de ma fille était et resterait pour toujours mon meilleur ami. Nous n’étions plus un couple depuis des années, et pourtant nous étions inséparables. Et le fait de diriger ensemble une agence de voyages n’en était pas la seule raison.
J’avais toujours aimé le voir à l’œuvre derrière les fourneaux. Vasco était un vrai bon vivant, pas uniquement pour son coup de fourchette et sa facilité à ouvrir la dernière bouteille, et toutes les suivantes. Il l’était parce qu’il aimait à régaler les personnes qui comptaient pour lui de ses plats, bien souvent épicés, mais qu’il improvisait toujours brillamment. Vasco partageait avec un plaisir sans nom ; j’avais rarement rencontré un être aussi généreux que lui. En réalité, il était le seul doté d’une telle générosité.
Son émotion m’était difficilement supportable. Faire souffrir les gens que j’aimais avait toujours été terrible pour moi, désormais c’était intolérable. J’étais pourtant impuissante.
Je ne voulais pas leur imposer la culpabilité de vivre. On ne doit pas culpabiliser de vivre. On doit savourer. Jouir de la vie. Encore et encore.
Nous nous rendions fort, comblions nos manques, nous nous admirions avec la même puissance.
Que les autres vivent sans moi était mon souhait le plus cher, je refusais qu’ils attendent mon départ pour poursuivre leur chemin. Ce n’en était pas moins douloureux pour autant.
On ne doit pas culpabiliser de vivre.
On doit savourer. Jouir de la vie. Encore et encore.