La genèse de leur amitié était très ancienne. Ils avaient partagé ensemble tous les événements forts qui avaient façonné leur adolescence, puis leur passage dans le monde adulte. En somme, ils ne s’étaient jamais perdus de vue. Mais, au-delà de ce lien affectif inébranlable, Franck exerçait la profession d’interne en médecine légale, ce qui lui conférait un jugement différent de celui de Boris. Une analyse des faits tout aussi pragmatique et rationnelle, mais enrichie d’une compétence scientifique incontestable.
Dès son affectation, Boris avait séparé sa vie professionnelle de sa vie privée. Il s’interdisait de parler de son travail à son entourage, même à son ami Franck, alors qu’ils se connaissaient de longue date. Pourtant, c’était bien la personne à laquelle il aurait pu le plus se confier.
Mais pourquoi je suis allé me mettre dans cette situation-là !
Dans notre société actuelle, le suicide est devenu un tel fléau, alors pourquoi pas elle… ? Malgré sa fille qu’elle aimait tant… »
« Si seulement j’avais autant de détachements que le toubib, tout serait plus simple et moins envahissant. »
Mon premier macchabée… », se répétait-il. Il décida malgré tout de photographier les lieux et le corps de la victime avec son téléphone portable.
La scène avait terriblement secoué le jeune lieutenant. Seul avec sa conscience, il se posait beaucoup de questions. Il s’assit sur le bord du canapé, à côté de cette pauvre morte qui attendait d’être enlevée par les pompes funèbres. La solitude le pénétra. L’incompréhension lui torturait l’esprit. Sans même s’en rendre compte, sa main serrait fortement la housse du canapé. Le regard fixe, il repensa à cette journée qu’il avait trouvée si ennuyeuse et qui lui semblait à présent triste et vide de sens.
Solitaire au milieu d’une grande pièce presque démunie de meubles, elle reposait bien là. Son visage était paisible, ses bras tombaient de chaque côté de son corps frêle. Ses jambes touchaient le sol, une courte corde autour de son cou la maintenait à la poignée de la fenêtre.
Une scène l’avait marqué davantage, tellement il l’avait trouvée sordide : un jeune homme s’était défenestré du onzième étage, les os de ses membres traversaient ses chairs et ressortaient hors de sa jambe. On aurait dit une marionnette jetée au sol avec négligence. Pourtant, l’horreur attirait avec force les gens. Le corps de cet homme n’était devenu rien de plus qu’un spectacle pour les curieux, un sujet de conversation pour les prochains jours.
Issu d’une famille modeste, il avait fait des études en droit pénal et avait longuement hésité entre le métier de policier et celui d’avocat. Son choix avait été difficile. Son rejet de l’injustice et sa soif pour les causes perdues le prédestinaient au métier d’avocat. Pourtant, une fois son diplôme en poche, il ne souhaitait plus se consacrer aux études. Il éprouvait le besoin de se sentir utile, alors il se présenta tout de suite au concours d’entrée au grade de lieutenant de police, qu’il empocha avec facilité et qui lui permit de satisfaire son appétence pour le terrain