Le narrateur de ce court récit (50 pages) m'a rappelé ce jugement de Jean d'Ormesson sur
Montaigne : « il trouve l'homme misérable et petit, et il s'en amuse. »
● Petit, Adolphe l'est, 1,38m, sous la toise. « Pauvre et calamiteux animal », cet avorton semble avoir servi de modèle à Vélasquez pour la série de portraits qu'il a consacrés aux nabots . Il est une espèce d'hybride entre Sebastian de Morra, le bouffon, et Péral, le nain le plus célèbre du cinéma.
● Sa voisine, Madame C, concierge de son état, en est la parfaite antithèse. 2 mètres, 180 kg. Un personnage rabelaisien, revisité par un
San Antonio qui voudrait donner une « hénaurme » compagne à Bérurier et dont Botero aurait fait le portrait. Sûr et certain que Sully aurait été fasciné par ses grosses mamelles !
● Cette antithèse, Martinet va s'en amuser et le burlesque jaillir. La scène où Madame C. va, pour assouvir ses pulsions sexuelles et meubler sa solitude, se servir d'Adolphe comme d'un sex toy, l'enfouissant en elle, est d'un comique achevé.
● Tout n'est pourtant pas rose dans leur quotidien, rue Froidevaux, la bien nommée, métaphore de la misère et de la déchéance humaine. C'est glauque à souhait, et J.P. Martinet met sans cesse l'accent sur les notions d'étouffement et d'enfermement, d'ennui et de solitude. Elle, dans sa minuscule loge sans wc, lui, dans un immeuble qui menace ruine « avec vue imprenable sur les tombes » du cimetière voisin près duquel il travaille et que son patron humilie sans cesse. La rue Froidevaux est sa prison, les morts ses seuls amis...et dès qu'il en sort c'est pour tomber dans les bras de la pachydermique concierge qui en fait son esclave sexuel et n'est « pas prête à lâcher sa proie ». Telle est sa misérable condition avec comme seule règle de conduite : « vivre le moins possible pour souffrir le moins possible ». On se croirait presque chez
Cioran.
● Presque, en effet, dans le fond, mais si loin pourtant dans la forme. Si ses personnages essaient de survivre dans un environnement inhospitalier et désolant, il n'y a aucun abandon au pathos chez Martinet, rien de désespérant, aucun drame, « on n'est pas heureux, mais on se marre bien ». Et c'est cela qui fait la force et l'originalité de son récit. Son art lui permet de transcender le réel, de prendre ses distances avec l'amère réalité par l'humour et l'ironie, sans cesse présents, et cela, dès le titre :
la Grande Vie. Vous avez pu juger de sa grandeur dans les lignes qui précèdent ! Je vous engage à ne pas manquer le récit que le narrateur fait de la séance de cinéma porno à laquelle il assiste en compagnie de Madame C. Elle mériterait de figurer dans une anthologie de l'humour, pas du tout noir, rassurez-vous !
● Je ne vais pas vous en dire plus. Simplement que notre petit homme, brisé par l'existence, va se révolter. Tel le Django de
Tarantino , il va briser ses chaînes et «éprouver un sentiment de puissance qu{'il] n' avai{t} jamais connu auparavant ».
● Penserez-vous, à la fin de votre lecture, que ce petit homme misérable crée par celui qui a vécu tout près des terres de
Montaigne « porte en lui la forme entière de l'humaine condition » ? A vous de voir.