Il est difficile de présenter convenablement un recueil de poésies, à fortiori celui d'un des plus grands poètes japonais, un fils de samouraï qui pratiqua son art, d'ermitage en ermitage, dans la dernière moitié du 17e siècle.
Rappelons que le Haïku est un poème bref en trois parties de 5, 7 et 5 syllabes. du moins en japonais. Traduire un haïku en le respectant, même sans suivre cette contrainte syllabique, est extrêmement ardu. Ici,
Makoto Kemmoku et
Dominique Chipot y sont brillamment parvenus.
L'ouvrage s'ouvre par une introduction utile, ce qui est plus que rare ! Elle comprend des remarques sur les traductions, sur l'origine des textes utilisés, et une biographie de Bashô. Il se clôt par d'utiles notes de lectures apportant des précisions sur le sens et l'opportunité de certaines images choisies par le poète.
Entre les deux, par ordre chronologique, une foule de poèmes de l'instant. Car le haïku, c'est la poésie de l'instant, l'équilibre d'une seconde, dans la trivialité du quotidien. Que nous apprend Bashō, si tant est qu'il désire nous enseigner quoi que ce soit ? Savoir contempler une seconde, dire beaucoup avec peu de mots, suggérer plutôt que dire… Il nous montre aussi que savoir obéir à des règles contraignantes peut être un stimulant pour la créativité, à condition, toutefois, de savoir aussi parfois s'en abstraire à bon escient… Il nous enseigne également que, tout autour de nous, et en nous, foisonnent les occasions de célébrer les impressions qui nous traversent l'esprit. le Haiku, ce n'est pas faire de l'esprit, c'est trouver l'esprit des choses, des lieux et des situations, aussi banales qu'elles puissent être.
Ainsi, nous dit-il, L'automne est venu, sur l'oreiller, le vent me salue ; mais encore, une vision d'un soir : un corbeau perché, sur une branche défeuillée, soir d'automne.
Pour Bashō, toutes les occasions sont bonnes pour composer, et cette édition nous offre non seulement d'être bilingue, ce qui ravira les étudiants en japonais (si si, il en existe), mais aussi de nous présenter des notes de Bashō sur l'origine de ses poèmes. Ainsi, voit-il des femmes préparer leur repas ? Ho ! Des femmes qui lavent des patates. Si j'étais Saïgyo, je composerai un waka (poème plus long).
Trouve-t-il une petite source, près d'un ermitage renommé ? Rosée goutte à goutte, pourrais-je y laver, les poussières de ce monde ?
Un de ses amis a-t-il perdu sa femme ? Froide, la couverture ouatée, où vous vous glissez - nuit de solitude.
Au fil des pages défile la vie quotidienne, découpée en instantanés lumineux. Certes, les fêtes et certains repères ne sont pas les nôtres, mais on sera surpris de reconnaitre que les thèmes abordés sont éternels de par leur banalité même : météo, solitude, amitiés, visites, animaux familiers, voyages et « vacances », fêtes… Bashō trouve et montre la beauté de ce quotidien.
Deux siècles plus tard,
Baudelaire avouera dans la préface de ses fleurs que « des poètes illustres s'étaient partagé depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine poétique, il m'a paru plaisant, et d'autant plus agréable que la tache était plus difficile, d'extraire la beauté du mal. »
Bashō, lui, a extrait la beauté du quotidien. Ce qu'il nous offre ici, ce sont des instants en fleurs. Cueillez-les un à un.
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