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Critique de Pasoa


Pasoa
13 février 2024
Recueil publié en 2023 au Mercure de France, le Jardin sous la neige de Jean-Michel Maulpoix est, à l'instar de beaucoup de ses recueils, composé de poèmes en prose.

Ce livre vient à la suite de L'Hirondelle rouge, recueil dans lequel le poète évoque la disparition de ses parents, et le Jour venu, livre où il poursuit sa réflexion sur la mort et le deuil.

La saison froide est une métaphore qui revient souvent dans le livre. Saison où la nature semble se défaire, s'abandonner tout entière à une trêve imposée. Empruntée à l'hiver, la saison froide est pour Jean-Michel Maulpoix le motif choisi pour évoquer encore la vieillesse, la fin de vie mais aussi, la confession d'une tristesse, d'une écriture qui semble être arrivée au bout de son chemin.

Dans plusieurs chapitres, Maulpoix interroge par diverses approches son rapport personnel au vieillissement, à la mort. le visage changé de l'autre, son corps fatigué, ses mouvements lents et puis sa disparition, tout est observé de près ou avec retrait. Son écriture fait apparaître le sentiment aigu de la finitude de l'être, une sensation saisissante qui va de la peur vers le doute, de la douleur jusqu'à la résignation :


« Je ne suis qu'un long crépuscule, déjà un tas d'os qui grince et peine à se déplacer seul, un paquet de ténèbres tout près de choir, un défaut d'astre, ce très peu de lueur qu'il reste d'une ancienne espérance. »

Dans une prose métaphysique et très personnelle, Jean-Michel Maulpoix mène une réflexion sur le rôle de la pensée, de la poésie, sur notre rapport au langage et aux livres, mettant en contraste ce qu'ils sont aujourd'hui et ce qu'il en restera demain, dans les derniers moments. Des résidus de paroles, de pensées… autre chose, peut-être.


« […] Parvenu à un certain point, il n'est plus que la nuit pour éclairer la nuit.
Pourtant, il est heureux, n'est-ce pas, que des poèmes soient en nous et qu'ils aient trouvé place dans notre mémoire au côté de nos souvenirs les plus obscurs, les plus lointains, les plus perdus : voilà qu'ils les éclairent, de côté, comme des soleils couchants, et ils les dorent parfois d'une belle lumière qui les rend plus précieux. Enveloppés de leur parole, ils se tiennent ainsi très proches et légèrement brillants dans cette nuit qui est la nôtre. »

L'ombre de Stéphane Mallarmé apparaît dans de nombreuses pages du recueil. Portrait de l'homme vieillissant dans son appartement parisien de la rue de Rome, réhaussé par l'évocation de quelques-uns de ses poèmes (je songe au magnifique Éventail de Méry Laurent). En se rappelant du grand poète, l'écriture de Maulpoix se fait plus desserrée, plus nuancée. Un moyen pour lui, peut-être, de tenir la vieillesse et la mort à distance, de l'objectiver.

Le livre se clôt par un chapitre qui donne son titre au recueil : le Jardin sous la neige. Après l'expression de la douleur, le portrait de Stéphane Mallarmé, advient une écriture plus apaisée, presque méditative.

À la couleur noire de la terre, à celle de la nuit qui engloutit tout, à celle de l'encre qui couche les mots sur la page, Maulpoix y oppose la blancheur de la neige, souveraine et fragile. Au creux de la saison froide, la neige recouvre la nature environnante, protège l'existence passée. Sur le paysage, elle dépose un silence étrange et particulier, elle amortit le tumulte et la rumeur, nous fait prendre conscience de notre intime présence au monde. Elle fait soudain espérer la promesse d'un nouveau printemps, celle de la vie qui se perpétue.

Dans ce recueil qui m'a beaucoup touché, Jean-Michel Maulpoix évoque avec trouble et émotion, avec maîtrise aussi, un sujet difficile. Sans affectation mais avec lucidité et humilité, il s'en remet à la poésie, à toute la réserve des mots pour dire l'inconcevable tragédie de la vie, le souvenir aussi de tout ce qu'elle nous aura offert.


« Je suis venu ici pour accepter l'inacceptable ! Pourquoi m'a-t-il fallu autant d'années, autant de phrases, pour le comprendre ? Des mots, voilà tout ce que j'ai pu trouver pour faire mine de donner un sens à ce qui n'en avait pas. Je sais que j'ai fait fausse route. D'autres l'avaient compris : la charité était la clef. »


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