Le sommeil est le plus ordinairement la conséquence de la fatigue que nous éprouvons à mettre en jeu les organes placés sous l’empire de la volonté; comme durant la veille nous ne cessons pas d’agir, comme, d’autre part, nous ne pouvons, en vertu de notre constitution propre, produire qu’une certaine somme d’activité , le besoin du repos procuré par le sommeil se fait sentir périodiquement et à des intervalles d’autant plus rapprochés que nous sommes doués d’une moindre énergie pour agir. Selon que ce sommeil est plus ou moins complet, nos membres et nos sens, notre cerveau et nos muscles sont plus ou moins reposés, c’est-à-dire plus ou moins aptes à entrer de nouveau en jeu durant un laps de temps déterminé. L’épuisement de nos forces intellectuelles et physiques s’annonce par l’envie de dormir, et si nous voulons lutter contre l’invasion du sommeil à l’aide d’une surexcitation de la force nerveuse, notre fatigue augmente, cette surexcitation passée, et le besoin ne tarde pas à devenir plus impérieux.
Ce livre se divise de fait en deux parties. Dans la première, j’expose la formation des rêves, ainsi qu’elle ressort de mes études; dans la seconde, j’applique les principes déduits de mes observations à des faits d’un ordre analogue, plus étranges, parce qu’ils sont plus rares, mais qu’il ne m’a pas été toujours permis d’étudier par moi-même : l’hypnotisme, le somnambulisme, et certains états pathologiques dans lesquels on a cru reconnaître des phénomènes en contradiction avec l’ordre naturel des choses.
Il y a donc trois degrés dans l’intelligence humaine, ou plutôt dans nos actes, conçus par rapport à l’intelligence : 1° l’acte instinctif qui s’accomplit sans le concours de l’intelligence individuelle; 2° l’acte intelligent, mais involontaire, tel qu’il se passe dans le rêve, tel qu’il semble aussi avoir lieu quelquefois , à l’état de veille, par l’effet de l’habitude; 3° enfin l’acte intelligent volontaire, résultat d’une réflexion plus ou moins prolongée. L’acte effectué d’abord volontairement est susceptible de se produire ensuite involontairement; mais ce qui est plus étrange, c’est que l’intelligence peut accomplir de prime abord, sans l’intervention de la volonté, un acte qui dénote le concours de toutes les autres facultés.
En rêve, l’homme se révèle donc tout entier à soi-même dans sa nudité et sa misère natives. Dès qu’il suspend l’exercice de sa volonté, il devient le jouet de toutes les passions contre lesquelles, à l’état de veille, la conscience, le sentiment d’honneur, la crainte nous défendent.
L’observation à deux est presque toujours indispensable; car avant que l’esprit ait repris conscience de soi-même, il se passe des faits psychologiques dont la mémoire peut sans doute persister après le réveil, mais qui sont liés à des manifestations qu’autrui seul peut constater. Ainsi, les mots qu’on prononce, assoupi ou dans un rêve agité, doivent être entendus par quelqu’un qui vous les puisse rapporter. Il n’est pas jusqu’aux gestes, aux attitudes qui n’aient aussi leur importance.