26 avril 1986. Tchernobyl. Une date et un lieu, qui, mis ensemble, font frémir n'importe quel être humain. Darragh utilise cette catastrophe comme toile de fond convaincante afin d'explorer la vie derrière le rideau de fer à la fin des années 80 et dans les années 90, lorsque, malgré les premières promesses de la Glasnost, rien ne change vraiment pour le citoyen russe moyen. le lecteur découvre les retombées de la catastrophe (sociales, financières, physiques, psychologiques, émotionnelles et nucléaire) sur la vie des gens ordinaires. Nous suivons un groupe de personnages gravitant les uns autour des autres.
Maria, ancienne journaliste dissidente à Moscou travaille aujourd'hui dans une usine, gagnant à peine de quoi payer le loyer de l'appartement qu'elle partage avec sa soeur Alina, blanchisseuse. le fils d'Alina, Evgeni, 9 ans, espère remporter une bourse au conservatoire de musique. Quant à l'ex-mari de Maria, Grigory, 36 ans et chirurgien chef, il est l'un des premiers envoyés sur le site de Tchernobyl après la catastrophe. Artiom a 13 ans et vit dans un village non loin de Tchernobyl. le 27 avril, il admire le ciel d'une couleur de lave. Il sera déplacé avec sa famille, considéré comme un pestiféré, et verra son père mourir des radiations. Chaque personnage est juste et attachant.
« Après les deux premières semaines, les officiels ont décidé de ne pas remplacer les liquidateurs, pour ne pas en sacrifier d'autres. Au cours des réunions d'organisation du travail de la journée, chaque matin, ils calculaient de combien de vies ils avaient besoin pour telle tâche spécifique. Deux vies pour ceci, quatre pour cela. C'était comme un cabinet de guerre, quand les hommes se prennent pour Dieu. le pire, c'est que cela n'a servi à rien. Les premiers liquidateurs ont dû malgré tout être remplacés, car à la fin, ils étaient trop malades pour continuer le travail. »
Darragh nous propulse dans l'Union Soviétique au moment où elle s'écroule. Tchernobyl en aura accéléré sa chute. Il met le doigt sur l'atmosphère particulière en Union Soviétique, l'impact à la fois de la catastrophe et de la chute du système sur le quotidien des habitants (de manière directe ou indirecte en fonction des personnages). Il n'oublie pas la nature, perturbée par l'explosion, les descriptions de la forêt revêtant des couleurs automnales du jour au lendemain à cause des radiations, ou encore l'abatage systématique des animaux de compagnie m'ont beaucoup marquée, même si j'en avais déjà entendu parler. Les vaches dans les prés ont les oreilles qui saignent. Tout est bouleversé, en danger, et pourtant, la vérité est dissimulée.
«
Tout ce qui est solide se dissout dans l'air » est une épopée historique et humaine mélangeant intimité émotionnelle et vastes paysages. Si le début du roman attaque de manière simple et plutôt intime, avec Evgeni se faisant agresser par des camarades de classe dans le métro, la catastrophe remet bien vite les pendules à l'heure, le présent devient urgent, le futur totalement incertain.
La plume de Darragh est fluide, étoffée et minutieuse. Il instille beaucoup de détails à son récit, donnant au roman une belle profondeur et une richesse unique. On sent qu'il a fait des recherches et récolté de nombreux témoignages.
J'ai aimé le mélange à la fois d'Histoire, de politique et d'intime. Darragh sait mettre l'accent là où il faut, quand il faut. le dosage est parfait entre chaque lien, évitant, d'une part, l'ennui du lecteur, et permettant de garder un bon rythme de lecture. Chaque lecteur y trouve son compte, quel que soit le volet qui l'intéresse. Pour ma part, j'ai préféré les moments parlant de l'accident et de ses conséquences, mais je dois avouer que je me suis prise au jeu des destins, et je me suis attachée aux personnages, espérant de tout coeur qu'ils s'en sortent.
La position officielle du gouvernement sur Tchernobyl est stupéfiante : rien n'est grave et tout est sous contrôle. Flagrant mensonge ! Grigori essaye de prévenir la population, mais il est bien vite muselé par le KGB. Avec Maria, à Moscou, nous découvrons le difficile quotidien des habitants pour joindre les deux bouts. Les salaires stagnent et les prix ne cessent d'augmenter (ça vous rappelle quelque chose ?). La vie de Maria, Alina et Evgeni est une fenêtre sur le régime communiste oppressif. Il y a des courants sous-jacents de peur et de suspicion. Dans l'usine où travaille Maria, la révolte et la grève sont latentes.
Il semblerait que les nuages toxiques existaient bien avant l'arrivée de Tchernobyl…
Le titre est tiré d'un extrait de citation de
Karl Marx et
Friedrich Engels, « Manifeste communiste ». Un mot de la couverture de la version poche, que je trouve superbe.
Un premier roman riche et d'une beauté absolue que je vous conseille.
« C'est le Parti qui a fait de moi ce que je suis, qui a fait de ce pays ce qu'il est. Je me suis toujours fié à son jugement. Et ce n'est pas un incendie dans une centrale qui y changera quelque chose. »
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