Résumer ce livre est très facile : c'est l'histoire d'un père qui veut venger sa petite fille, morte lors d'un braquage. La police laisse courir et pour Franck, tout s'est arrêté ce jour-là, depuis sa vie le traverse et lui n'a qu'une seule obsession : le meurtrier.
Bon une fois que je vous ai dit cela, je vous en ai dit beaucoup et en même temps presque rien. On est avant tout dans un roman d'atmosphère, un petit bijou de roman noir. Thème maintes fois visité que la vengeance d'un père, oui certes mais ici Mention se démarque par son écriture. Pourtant le lecteur pourrait se dire qu'on risque de sombrer dans un écueil avec un ouvrage au présent et à la première personne du singulier mais là est toute la maîtrise de l'écrivain. Oui parce qu'il y a le style, et Michaël nous en met plein la vue. Tantôt phrases courtes, tantôt juste un mot qui vient frapper le liseur en pleine face, tantôt un chapitre avec deux mots : rouler et tatouage, martelés à l'excès, quel excès quand on est dans la peau d'un papa à qui on a retiré un être unique ! Tout cela pour montrer l'assujettissement à une pensée unique. On tutoie la psychose, une folie qui devient compagne, continuer quoiqu'il en coûte, quelque soit le lieu : des bas fonds parisiens à la jungle luxuriante. S'enivrer d'un tourbillon de mots, en fixer un et le ressasser comme un mantra, comme un objectif à atteindre aussi , une fois réalisé on saute au suivant pas de pause, une urgence à assouvir le châtiment.
Ça c'est une chose, mais il y a aussi cette musique, ce rythme, ces résonances dans nombre de mots, les phrases swinguent, ça titille l'oreille. Certains seront un peu perdus dans les références musicales puisque Mention a choisi comme année de référence 1978, ce n'est pas un hasard mais le pourquoi à vous de le découvrir, et un côté rock assumé. Une playlist, pas assez exhaustive au regard des références évoquées au travers des pages, vous attend en fin d'ouvrage, profitez-en pour la suivre en même temps que votre lecture, cela renforce l'intensité du récit d'autant plus que Michaël utilise des paroles qui évidemment ne collent absolument pas avec le texte en cours (rires). Et quand l'auteur n'utilise ces deux artifices, il se sert de l'environnement pour faire écho, cette jungle hostile où le silence est inexistant où tout est bruit : animaux, pluies diluviennes, sols, un véritable carnage naturel.
Et puis il a les rencontres réelles ou fictives qui parsèment le chemin de cette aventure. Parfois sous forme d'un jalon insignifiant comme une autostoppeuse qui allège un peu cette ambiance sinistre ou d'un éducateur en forme de bouée de sauvetage. Parfois le lecteur assiste à des dialogues « au présent » père/fille emprunts d'émotions, d'intimité, d'amour, de coups de pieds au cul… Bref des segments dont on ne ressort ni indemne ni insensible.
Malgré cette descente aux enfers fleuretant parfois avec l'hallucinatoire, ce roman se savoure. Une petite merveille du genre. Ne vous fiez pas au titre, qui s'explique d'ailleurs en un paragraphe poignant, ici
les gentils ont plus l'allure de chimères que de points d'ancrage. Soyez prêt à être bousculé à la lecture de ce livre, l'auteur s'affranchit souvent des règles pour offrir un moment où il est peut-être bon de prendre des pauses dans le récit soit pour déguster l'instant soit pour respirer devant tant de douleurs et d'émotions.