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En France, dans les quartiers populaires, septante bibliothèques ont été incendiées en quinze ans. La thèse que l'auteur défend est que ces bibliothèques ont été ciblées en tant que telles, pour ce qu'elles représentaient, et pas parce qu'elles étaient le premier bâtiment public sur lequel sont tombés par hasard les incendiaires.

Cette thèse paraît surprenante au premier abord : pour les amoureux du livre, la bibliothèque ne véhicule que des valeurs positives : accès à la culture pour tout le monde, ouverture à l'autre, ... L'auteur soulève cependant quelques points qui peuvent être perçu comme des agressions par les habitants de ces quartiers.

D'une part, la bibliothèque est associée, avec l'école, à la culture de l'écrit, principal levier de promotion et de réussite sociales. Pour ceux qui ont joué le jeu sans rien recevoir en échange (par exemple, avoir terminé ses études et rester au chômage ensuite), ou pour ceux qui ont quitté très tôt le circuit scolaire, la bibliothèque est associée à ces institutions qui promettent beaucoup sans tenir parole, ou à celles qui excluent les individus et les empêchent d'accéder à de meilleures conditions de vie.

Autre point, l'appropriation de la bibliothèque par les habitants du quartier ne se fait pas sans difficulté. Elle est souvent imposée à une population qui ne l'a pas réclamée, parfois au prix de la disparition d'un espace qui avait de la valeur aux yeux des habitants. Les investissements réalisés pour sa construction peut faire grincer des dents, estimant que l'argent aurait pu être dépensé pour des besoins plus urgents (création d'emploi, ...). le personnel, qui nécessite certaines qualifications, vient souvent de l'extérieur. Il impose des règles aux usagers (bruit, attitude, ...) qui sont très différentes de celles de la rue et, de temps en temps, sanctionne et restreint l'utilisation du lieu. L'auteur souligne qu'il est difficile pour la bibliothèque de rester neutre sur le plan politique. Elle impose des normes, des critères de bonne conduite, et cherche à amener ses usagers à une certaine « qualité » de lecture.

Dernier point, les livres sont très respectés dans notre société et sont presque de l'ordre du sacré. Les individus qui veulent s'attaquer à cette société tiennent là une bonne occasion de frapper un point particulièrement sensible.

Sans jamais apporter de réponse ferme et définitive, l'auteur offre un portrait soigné de la situation dans ces quartiers : témoignages du personnel de la bibliothèque, des habitants du quartier, des élus locaux, ... Derrière un problème simple se cachent finalement des dynamiques complexes : la bibliothèque est à la fois la leur et assimilée à une structure d'État, elle entre en conflit avec d'autres lieux de rassemblement. L'essai est précis mais accessible, et très enrichissant. Je pense que les professionnels du milieu y trouveraient beaucoup de pistes de réflexion sur leur propre expérience.
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Le point de départ de ce livre est fondé sur un constat ahurissant : 70 bibliothèques incendiées en France entre 1996 et 2013 et ce phénomène existe au moins depuis 1980.

Selon l'auteur l'objectif de ce livre n'est pas seulement de donner à voir un phénomène passé inaperçu, il s'agit aussi d'abandonner l'idée selon laquelle ce type d'évènement relève de conduites insensées, voire nihilistes.

L'auteur défend la thèse selon laquelle il faut considérer ces attaques comme des messages qui nous éclairent sur les bibliothèques et ce qu'elles représentent en tant qu'institution au regard de conflits qui peuvent exister entre certaines classes populaires et l'état, les politiques culturelles, les municipalités…

Il ne s'agit pas d'autodafé, car ces incendies de bibliothèques n'obéissent pas à des raisons idéologiques ou religieuses. Les incendies s'inscrivent dans le phénomène de révoltes, de contestations, de violences et font partie de l'histoire des banlieues.

Sur la thématique des autodafés, on trouvera d'autres ouvrages, eux aussi, très documentés :

– Histoire universelle de la destruction des livres, Fernando Baez (Fayard)

– Livres en feu, Lucien Polastron (Folio-essais 2009)

Denis Merklen fait une analyse très fine des éléments historiques, du contexte social, des territoires concernés et des relations entre le public et les municipalités.

La difficulté d'interprétation de ces agissements vient du fait que ces dégradations ne sont pas accompagnées d'un discours explicite et revendicatif.

Il est manifeste que les classes populaires qui agissent par l'intermédiaire de ces incendies et dégradations tentent ainsi de se rendre audibles. Ils visent un symbole, l'éducation, la formation, la promesse d'avenir, la réussite sociale, autant de futurs qui leur semblent inaccessibles.

L'auteur a mené des enquêtes très poussées auprès des bibliothécaires ce qui lui a permis de voir combien « la violence » est omniprésente dans l'univers des médiathèques. La moitié des personnels rencontrés a déclaré avoir été l'objet de « violences » au cours de son travail ou à l'échelle du quartier d'implantation de la bibliothèque dans laquelle ils travaillent. Parmi ces violences sont mentionnées les « insultes », les « menaces », les agressions physiques.

Ce livre peut aider les bibliothécaires et les responsables culturels à voir autrement l'espace qu'ils occupent et à envisager autrement leur propre action.

Frappé par le chômage et la précarité les quartiers populaires semble s'éloigner du politique. Phénomène qui tend à se généraliser dans une grande partie du pays.

Ces attaques contre les bibliothèques ne relèvent pas de la simple délinquance, elles cachent sans doute un mal plus profond. le mérite de ce livre est de mettre en évidence une situation de fait qui appelle à une action d'envergure des politiques, mais pas seulement au niveau des institutions culturelles. Ce problème est d'autant plus complexe à traiter que la cible des contestations n'est plus seulement les « riches » les « bougeois » ou le « capitalisme », mais l'état lui-même. Les actions qui peuvent être menées au niveau des bibliothèques elles-mêmes sont réduites, mais passe sans doute par une plus grande proximité des personnels par rapport au public concerné et par une réappropriation pour les usagés du choix des collections, des animations et de l'accueil, choix qui encore aujourd'hui reste le privilège de spécialistes éloignés du terrain. Mais ce type de mesure ne peut avoir qu'un effet cosmétique, il faut voir plus loin, le mal est systémique et concerne l'organisation de l'ensemble de notre société. Que faire ou que répondre à cette phrase lancée entre les deux tours de l'élection présidentielle de 2007 par un habitant d'un quartier de Saint-Denis à une bibliothécaire : « Si Sarko passe, on vous brûle la bibliothèque ».

Rédigé dans le cadre d'une habilitation à diriger des recherches, ce livre s'adresse plutôt à un public de professionnels ou de particuliers passionnés par toutes les questions relatives aux bibliothèques et aux livres, mais aussi à tous ceux qui s'interroge sur les raisons de l'augmentation des revendications violentes dans notre pays.

Bibliographie :

- "Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ?", Denis Merklen, Presses de l'Enssib (2020) (première édition 2013).
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Cet essai de plus de 300 pages est le fruit d'une enquête menée durant cinq ans par le sociologue Denis Merklen. Les incendies de bibliothèques ne sont pas si rares, au moins 70 bibliothèques françaises ont été incendiées entre 1996 et 2013. Pourtant, la presse en parle peu et les mairies ont tendance à passer le phénomène sous silence. Denis Merklen s'est intéressé à ce sujet et nous livre ses analyses, après s'être rendu dans plusieurs bibliothèques de banlieues et y avoir interviewé le personnel.

Cet ouvrage est très intéressant, on remarque que ces bibliothèques ne sont pas forcément incendiées pour ce qu'elles abritent (les livres, le savoir) mais plutôt en raison de leur emplacement, dans des territoires conflictuels. Denis Merklen va jusqu'à dire que c'est parce qu'elles sont situées dans un espace conflictuel qu'elles se révèlent éminemment politiques, alors que ces institutions se veulent justement politiquement neutres. Et effectivement, pas mal d'incendies semblent liés au climat politique (plusieurs bibliothèques incendiées suite à l'élection de Nicolas Sarkozy, par exemple). On s'aperçoit également que l'Etat veut proposer des services à la Cité sans concertation avec la population, ce qui explique parfois cette incompréhension et ces malentendus entre personnel et usagers.

L'ouvrage aurait pu être raccourci de quelques pages, car l'auteur se répète de temps en temps et s'éloigne parfois de son sujet (notamment quand il évoque l'Argentine, même si j'ai bien compris qu'il établit des liens entre les différentes populations). J'aurais aimé lire aussi plus de témoignages de bibliothécaires et d'habitants du quartier, c'est justement ce qui retenait le plus mon attention.

Cette longue analyse du phénomène des incendies de bibliothèques s'adresse bien sûr aux professionnels du livre mais également (et surtout) aux élus, ainsi qu'à tout sociologue intéressé par cette question.
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"Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques?" un titre qui interpelle pour un sujet important: la place d'ine institution culturelle publique dans les quartiers populaires.

Ce livre est complet, très bien documenté et permet de mettre en perspective et de prendre du recul sur des faits qui, sur le coup, suscitent l'émotion et l'indignation.

Il n'est pas à destination du grand public, car il est nécessaire d'avoir une connaissance du métier et de cet environnement pour saisir les clés de cette problématique.
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Ouvrage de 349 pages très complet et riche d'informations destiné à un public averti. Ouvrage hautement documenté car tiré du mémoire rédigé par Denis Merklen pour son HDR, (habilitation à diriger des recherches) et pouvoir ainsi encadrer des doctorants. L'auteur, sociologue, universitaire, a étudié durant 5 années des faits divers passant totalement inaperçus : entre1996 et 2003, 70 bibliothèques publiques ont été incendiées. Que dissimule ce geste insensé, destructeur ? Qui est visé ? Pourquoi cela n'attire l'attention de personne ?
Ouvrage destiné à faire réagir : élus, bibliothécaires, journalistes, enseignants, habitants du quartier. Que doit-on comprendre dans la disparition dans les flammes, de bibliothèques implantées dans des zones dites « sensibles » ? L'auteur souligne d'emblée qu'il ne s'agit pas d' »autodafés » ; la destruction n'est pas idéologique. le savoir n'est pas la cible.
Tout au long de cette enquête, l'auteur va alors chercher à décrypter le phénomène et à comprendre le lien entre ancrage territorial et population.
Document volumineux mais très accessible pour qui s'intéresse à ces questions de sociologie politique.
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Merci à Babelio et aux Presses de l'Enssib pour l'envoi de ce livre ! En tant que bibliothécaire, c'est toujours intéressant de se documenter sur ce type de sujet.
La lecture est certes un peu aride, mais elle s'est avérée instructive. le travail de recherche est précis (même si le livre date de 2013, donc est peut-être un peu dépassé sur certains chiffres).
Les faits décrits sont réels, et hélas trop bien connus des bibliothécaires qui parfois, en quartier sensibles, peuvent voir leurs locaux dégradés (sans généralement arriver jusqu'aux flammes !). Ce livre permet ainsi de mettre des mots et d'expliquer ce phénomène. Il peut aider le professionnel directement concerné à trouver des solutions concrètes et immédiates, et à les appliquer en direction des publics concernés.
Un tel livre, du fait de sa richesse, est aussi un outil pour les décideurs... ou autrement dit les élus : repenser la place des bibliothèques dans leur territoire, (lui donner plus de moyens – on espère tellement ...), travailler le rapport des populations et des livres...
Ce qui est vraiment bien est que l'auteur a cherché à étudier le problème sous tous les angles : quels sont les rapports entre les populations et les bibliothèques ? Comment les bibliothèques sont-elles ressenties ? Que donnent-elles aux populations ? Quelles tensions peuvent naître ?
Ce portrait est donc complet et pousse à la réflexion. J'espère seulement que de nombreux acteurs territoriaux le liront ... et non juste les bibliothécaires !
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