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Critique de JBLM


Ce que j'aime bien, quand je lis de la poésie, c'est que j'ai l'impression d'être au musée. On passe à peu près autant de temps à lire un poème qu'à regarder un tableau, et surtout, on abrège ou on prolonge si ça nous plaît ou pas. Telle croûte nous agresse les yeux ; on passe au reste et on l'oublie à jamais. Telle oeuvre nous touche ; on s'arrête et on essaye de comprendre pourquoi. C'est d'autant plus intéressant lorsque la croûte et l'oeuvre sont du même artiste, cela prouve que l'on a détesté la croûte en vertu d'un vrai jugement et pas sous l'impulsion misanthropique et impitoyable de la certitude que ledit artiste est par principe détestable. D'ailleurs, on s'arrête parfois moins pour envisager l'inscription de l'oeuvre dans sa mémoire que pour observer ce que ce jugement de valeur spontané dit de nous. Pour en venir au livre, je ne crois pas avoir déjà lu un recueil de poésie où cette impression s'est autant manifestée.

Autant le dire d'emblée, les trois-quarts des poèmes ne m'ont soit pas intéressé, soit carrément pas plu. On nage dans un délire absurde plus ou moins dense, dont le caractère poétique est loin d'être évident puisqu'il ne s'agit quasiment que de prose. On retient quelques thèmes récurrents : le mépris du corps, la confusion entre le réel et l'imaginé, la violence gratuite macabre, la personnification des concepts, la conceptualisation du concret. Beaucoup de têtes coupées, beaucoup de viscères qui volent, beaucoup d'assassinats cordiaux... On passe un bon moment. Il y a un travail sur la langue qui consiste à inventer des mots qui sonnent français pour traduire une idée assez floue, mais qui excellent à retranscrire leur caractère glauque. Invention également de tout un bestiaire plus ou moins fantastique qui aurait le mérite de révolutionner les collections d'un Muséum d'histoire naturelle fantasmé si le poète caractérisait lesdites espèces au lieu de les énumérer et de n'en donner que quelques traits comportementaux sous forme d'énigmes. le poète reconnaît lui-même, à la fin d'un texte particulièrement complexe, où les incohérences succèdent aux invraisemblances, qui occasionne chez le lecteur une lutte acharnée et souvent vaine contre la passivité, que les éléments naturels sont plus à même de comprendre son écriture que l'homme ; autant vous dire qu'on n'en sort pas bouleversé par une nouvelle vision du monde. On passe son temps à essayer d'établir un diagnostic sur l'état mental du poète, traversé de passions morbides, d'obscénités grotesques et de masochisme dépressif.

Les seuls passages que j'ai apprécié sont paradoxalement les moins poétiques de l'oeuvre. Ce sont les mésaventures absurdes de Plume, assez amusantes, où une naïve victime éternelle se laisse martyriser par une société qui semble incapable d'éprouver autre chose que de la haine à son endroit ; et le voyage en grande Garabagne, où l'on se croit au milieu d'un chapitre Du Livre des Merveilles de Marco Polo, qui consiste, selon un principe cher à la science-fiction, à imaginer les moeurs de peuples inconnus que le poète visite. Seule exception : le poème "Ecce homo", le tableau où j'ai dû m'arrêter, qui écrase complètement le reste du recueil pour moi et m'a bien rassuré à un moment où je commençais à me demander si je n'étais pas en train de tout détester par principe. On y trouve un regard plein de verve sur l'homme, avec un recul approprié et des images qui font mouche, et dont on saisit les références et les observations dans la société. Un bien beau poème rapide à lire, qui fait réfléchir et que j'invite à découvrir sans attendre.
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