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Critique de chris49


À PROPOS DE LA RALENTIE

"La Ralentie" paraît dans son intégralité pour la première fois en 1937. le texte, qui a subi de multiples variations avant de se figer dans sa forme définitive, en 1938, met en jeu, dès l'origine, des éléments personnels à Michaux. Il est avéré que son séjour en Amérique du Sud, fin 1936, où il rencontre Susana Soca et Angelica Ocampo, ou que sa relation compliquée avec sa femme Marie-Louise Ferdrière, ont infléchi le texte.

Dans ce volume, conformément à l'édition Gallimard de 1963, "La Ralentie" se présente dans la deuxième section du recueil « Plume précédé de Lointain intérieur ». L'ensemble des textes du recueil fait poindre des voix multiples et de très nombreux personnages. Trois ans après « La nuit remue », qui était tourné vers des lieux, des états, ce recueil, se tourne à présent vers des voix.
C'est pour avoir touché cette ineffable oralité que "La Ralentie" a fait ainsi l'objet d'un grand nombre d'interprétations et d'enregistrements.
Autour des années 50, nombreuses étaient les expériences sur la voix radiophonique. Multiples étaient également les réflexions sur la manière de dire des poèmes à la radio, en particulier celle de s'éloigner du style déclamé qui était encore en vogue à l'époque. Michaux, qui n'était pas favorable à la lecture de ses poèmes par des comédiens, fut ainsi conquis par l'enregistrement de "La Ralentie" par Germaine Montero et Marcel van Thienen en 1953. (on peut écouter ce magnifique enregistrement via ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=BNKCmAAACSI).

« Je ne saurais trop vous conseiller, dit Michaux à ce propos, d'écouter l'extraordinaire composition de M. van Thienen qui, loin de chambouler tout, reste dans la traîne des vers (qui d'ailleurs n'en sont pas) et fait son sillon non pas dans les mots, mais dans le silence [...] Michaux, à cette occasion, parlait également de « textes étrangement ranimés, à croire qu'ils venaient d'être faits la veille ».

L'entrelacement des voix dans La Ralentie dissimule à peine les nombreuses références autobiographiques dont Michaux fait le jeu. Ces sources, qui se retrouvent également dans « Je vous écris d'un pays lointain » écrit au même moment, font apparaître des entités féminines parfaitement reconnaissables. Lorellou incarne sans ambiguïté sa femme, Marie-Louise Ferdrière (qui utilisait d'ailleurs pour elle-même le diminutif Lou). En atteste la transformation in extremis du prénom Marie-Lou en Lorellou, demandée par Michaux à son éditeur avant l'impression du texte. Quant à Juana, elle exprime Susanna Soca que Michaux rencontre lors de son voyage en Argentine en 1936, dont il tombe éperdument amoureux et de laquelle il fut aimé, tout comme elle représenterait Angelica Ocampo, cette autre femme lointaine, dont il se serait pris aussi de passion.

Ces références sont importantes à mentionner du fait qu'elles éclairent le trouble hors du commun qu'éprouva Michaux pendant la rédaction de "La Ralentie". En témoigne cette lettre adressée à sa grande amie Aline Mayrisch (appelée étrangement « Loup » elle aussi), où figurent ces quelques mots : « ... mais moi aussi je regarde la Ralentie avec vos yeux... Pire, avec de la haine... Je jure et, sur mon agenda je trouve mon serment répété, que je n'entrerai plus jamais dans un état pareil... / D'ailleurs pas besoin de me forcer, la peinture semble avoir libéré toutes mes forces et mes activités. »

Il est ainsi frappant que c'est à cette même époque que Michaux évoque pour la première fois la peinture de façon aussi éclatante, lui pressentant de rendre possible ce que les « mots-voix », selon lui, ne sauraient rendre qu'à travers d'insupportables souffrances.

(Les sources de ce commentaire sont dans le présent volume de la Pléiade, et dans « Dire la poésie », ouvrage collectif sous la direction de Jean-François Ruff, ed. Cécile Defaut, 2015, communication d'Anne-Christine Royère)
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