Citations sur La crucifixion en rose, tome 2 : Plexus (67)
Dés l'instant que l'on prête une attention soutenue à toute chose, souvent un simple brin d'herbe, tout devient un monde en soi, mystérieux, imposant, indiciblement magnifié. Presque un monde 'méconnaissable'. L'écrivain se tient à l'affût de ces instants uniques. Telle une bête de proie, il fonce sur son petit grain de néant.
Il y a si longtemps que le monde conceptuel est tout l’univers de l’homme. Nommer, définir, expliquer… Résultat : incessante angoisse. Dilater ou contracter l’univers ad infinitum –jeu de salon. Jouant au dieu au lieu d’essayer d’être comme Dieu. Crânant, crânant –et en même temps ne croyant à rien. Se vantant des miracles de la science, et pourtant regardant le monde à peu près comme autant de merde. Effrayante ambivalence ! Elisant les systèmes, jamais l’homme. Niant les hommes de miracles en vertu des systèmes érigés en leur nom.
La souffrance est inutile. Mais l’on doit souffrir avant de pouvoir comprendre qu’il en est ainsi. C’est alors seulement, de surcroît, que la vraie signification de la souffrance humaine devient claire. Au dernier moment désespéré –lorsqu’on ne peut plus souffrir !- quelque chose advient qui tient du miracle. La grande plaie ouverte qui drainait le sang de la vie se referme, l’organisme fleurit comme une rose. […] L’arbre de la vie est maintenu vivant non par les larmes mais par la certitude que la liberté est réelle et éternelle.
Il semble qu’à toute période cruciale de ma vie je sois tombé sur l’auteur même dont j’avais besoin pour me soutenir. Nietzsche, Dostoïevski, Elie Faure, Spengler : quel quatuor ! Il y en eut d’autres, naturellement, eux aussi importants à certains moments, mais ils ne possédaient jamais tout à fait l’amplitude, tout à fait la grandeur, de ces quatre-là. Les quatre cavaliers de mon Apocalypse personnelle ! Chacun exprimant pleinement sa qualité unique propre : Nietzsche, l’iconoclaste ; Dostoïevski, le grand inquisiteur ; Faure, le magicien ; Spengler, le bâtisseur de schémas. Quelle fondation !
Ce n’est pas l’âge qui nous donne la sagesse. Ni même l’expérience, comme on le prétend. C’est la vivacité d’esprit. […] A ceux qui cultivent l’esprit, rien n’est impossible. Aux autres, tout est impossible, ou incroyable, ou vain. Quand on vit jour après jour avec l’impossible, on commence à se demander ce que signifie ce mot.
La faculté de remettre en question. Cela, je ne l’abandonnai jamais. Comme on le sait, l’habitude de tout remettre en question conduit à devenir soit un ange soit un sceptique. Elle mène aussi à la folie. Sa vraie vertu consiste pourtant en ce qu’elle fait penser par soi-même, qu’elle fait revenir à la source.
L’anglais est une langue de cinglés, le sais-tu ? Imagine-toi des mots comme Michaelmas ou Whitsuntide –ou wassail ou syndrome ou nautch ou hangdoodle. Attends un instant, en voilà un encore plus rigolo –prepollent. Ou parlous –n’est-il pas étrange, celui-là ? Ou bien prends acne ou cirrhosis –il est difficile d’imaginer quelqu’un inventant des mots comme ça, tu ne trouves pas ? Le langage est pur mystère.
Qui pourrait résister si l’amour devenait l’ordre du jour ? Qui aurait envie de puissance ou de connaissance –s’il baignait dans la perpétuelle gloire de l’amour ?
L’argent ! Et on me parle de benzédrine… Pour une piqûre dans le bras, donnez-moi de l’argent à n’importe quel moment !
Mainte et mainte fois Van Gogh répète qu’il n’a d’autre désir que de mener la vie simple. Il n’est extravagant que dans l’emploi de sa matière. Tout va dans l’art. C’est un sacrifice si total qu’en comparaison, la vie de la plupart des peintres semble pâle et sans valeur. Van Gogh sait qu’il ne sera jamais reconnu de son vivant ; il sait qu’il ne récoltera jamais la moisson de son labeur. Mais les artistes à venir –peut-être son renoncement leur rendra-t-il les choses plus faciles ! C’est là son vœu le plus profond. De mille manières différentes, il dit : « Pour moi-même je n’attends rien. Nous sommes condamnés. Nous vivons hors de notre temps. »