Il s'agit du premier tome d'une série consacrée au personnage de Titus Defoe, exterminateur de zombies en 1668, en Angleterre. Il contient 2 récits. Cette série en noir & blanc est écrite par
Pat Mills, dessinée et encrée par
Leigh Gallagher, sérialisée dans le magazine britannique 2000AD. L'histoire continue dans Queen of the Zombies des mêmes auteurs.
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1666 (2007, Prog 1540 à 1549) - En 1666, une comète est passée au dessus de Londres provoquant un grand incendie et générant une épidémie de zombies. Parallèlement les avancées scientifiques d'
Isaac Newton,
Leonardo de Vinci et d'autres ont été plus rapides que dans notre réalité, permettant le développement d'armes et de véhicules plus élaborés. Lorsque l'histoire débute en 1668, Titus Defoe est un des exterminateurs de zombies les plus efficaces et il intervient pour contenir une zone d'infestation dans le quartier de Whitechapel. Il va se retrouver confronté à un de ses anciens camarades des Niveleurs (Levellers, mouvement politique né pendant la guerre civile anglaise de 1642-1648). Fear-The-Lord Jones (un journaliste) s'est mis en tête de suivre Defoe pour écrire un article sur ses opérations. Pendant ce temps,
Isaac Newton et Robert Hooke discutent science appliquée aux armements, et politique internationale. Oliver Cromwell se trouve dans une position des plus inconfortables, la tête encore consciente au sommet d'une pique.
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Brethren of the night (2008, prog 1589 à 1598) - En 1669, les zombies semblent plus organisés que l'année précédente, et plusieurs cas de zombies douées de parole sont signalés. Titus Defoe a rassemblé autour de lui une dizaine d'exterminateurs de zombies, au passé trouble, voire criminel. Il est amené à collaborer avec Bendigo (ex-boxeur ayant acquis sa renommée lors d'un match de boxe en 92 rounds, authentique), exerçant la profession de collecteur d'urine (pour en extraire le salpêtre nécessaire à la fabrication de la poudre à canon, également authentique) et accessoirement pilleur de sépulture. Fear-The-Lord Jones a été capturé par la comtesse Madalena von Konigsberg (surnommée Prussian Blue, et reine des zombies), puis relâché blessé. Il essaye de rejoindre If-Christ-Had-Not-Died-For-Thee-Thou-Wouldst-Be-Damned Jones (son frère) qui travaille pour la couronne.
Pat Mills est un scénariste britannique à la longue carrière ayant travaillé pour 2000AD (par exemple Nemesis the warlock avec Kevin O'Neill), pour d'autres magazines anglais (l'incroyable reconstitution de la guerre de 14-18 du point de vue d'un tommy, Charley's war), avec quelques rares incursions aux États-Unis (une charge haineuse et drôle contre les superhéros, Marshal Law). Il a depuis longtemps réalisé son rêve : écrire des BD pour le marché français (Requiem, Sha). La série "Defoe" est une de ses productions récentes pour le magazine 2000AD.
Dans un premier temps, le lecteur retrouve les idiosyncrasies du style de Mills, à commencer par ses maladresses narratives : environnement présenté de manière partielle, ellipses violentes (en particulier les circonstances des percées scientifiques résumées en 1 phrase, et jamais répétées par la suite), personnages racontant leur vie pendant les scènes de bataille, transitions brutales, clichés utilisés de manière peu crédible (personnage blessé à l'article de la mort, survivant pendant un temps improbable, capable de voyager au-delà de toute plausibilité). le style de
Leigh Gallagher est tout aussi déconcertant, avec une apparence vieillotte, ou en tout cas qui évoque les dessinateurs des débuts de 2000AD, avec une forte capacité à masquer des fonds vide par des hachures ou des coups de crayons griffés, pas toujours plaisants à l'oeil. Il alourdit également ses planches avec un fond de page noir au lieu d'être blanc, et des cases avec un encrage très appuyé ralentissant sensiblement la lecture du fait d'une obligation de déchiffrage de chaque case surchargée.
Bref, il faut avoir envie pour se lancer dans cette lecture. Et pourtant dès l'introduction d'une page de
Pat Mills, le lecteur a la puce à l'oreille. Il déclare qu'il n'a jamais fait autant de travail préparatoire que pour cette série (en remerciant au passage Steve Earl qui a réalisé une partie de ces recherches pour son compte, de l'humour anglais je suppose) et en insistant sur l'importance du contexte historique à commencer par le mouvement des Niveleurs. C'est vrai que d'un coté le lecteur se retrouve dans une histoire de zombies (à une époque originale) où les bons massacrent les méchants (des zombies) sans arrière pensée, avec des armes exhalant un parfum clockpunk irrésistible et très inventif. D'un autre coté le contexte historique suinte par tous les pores et toutes ses composantes sociales, politiques, scientifiques. Au bout de quelques pages, le lecteur se rend compte qu'il avance dans un récit très, très dense où le personnage de Defoe est d'autant plus tragique que sa position le contraint à tourner le dos à ses idéaux. Et les dessins surchargés de Gallagher donnent une apparence et une présence incroyable à Defoe, avec sa gueule de prolétaire bas du front, et ses bajoues naissantes. Voilà un homme massif sans être gros, déterminé jusqu'à l'obsession qui en impose par sa seule présence. Et cette abondance de traits permet de conférer une texture peu commune aux différentes armes pour lesquelles il est visible que Gallagher a, lui aussi, bien fait son travail de recherches.
Dans une interview, Mills a expliqué qu'il avait réussi à allier les exigences des responsables éditoriaux de 2000AD (un récit d'aventures, avec des zombies bien crades, exterminés avec violence), avec certaines de ses propres préoccupations (à commencer par les Levellers). Les habitués des BD de Mills savent qu'il a des principes politiques bien arrêtés, et il est facile de comprendre ce qui l'a séduit dans un mouvement revendiquant la tolérance religieuse, le libre-échange économique, une extension du droit de vote et des droits garantis par une constitution écrite, à l'époque d'une monarchie bien assise. À l'évidence, il a dû également beaucoup apprécier la possibilité d'évoquer des figures historiques telles que Newton, Hooke, Cromwell, mais aussi Charles II,
Léonard de Vinci,
Francis Bacon, John Dee, et beaucoup d'autres. Enfin, il apparaît qu'il a construit un récit en plusieurs chapitres dont ce tome ne comprend que les 2 premiers, avec un environnement d'une richesse époustouflante, habillé dans un thriller horrifique très efficace.
De même le talent de
Leigh Gallagher se révèle au fil des pages. Il investit beaucoup de temps pour définir l'apparence visuelle des personnages qu'ils soient sinistres, ténébreux, ou terrifiants (de dangereux psychopathes dont un rendu encore plus angoissant par son strabisme divergent plus que prononcé, une grande réussite visuelle). Chacun dispose d'une gueule inoubliable et unique, malgré le nombre de personnages. Il a passé beaucoup de temps pour dessiner des décors plausibles et historiquement justes. Il en va de même pour les tenues vestimentaires. Ses zombies sont assez crades et répugnants, l'encrage massif masque les aspects les plus gore mais laisse aussi la place à l'imagination du lecteur pour envisager le pire. Il donne corps à la composante clockpunk avec une inventivité réjouissante, en particulier pour les véhicules à vapeur utilisés pour décimer les rangs des zombies (je suis prêt à échanger 2 batmobiles contre un de ces véhicules).
D'un coté,
Pat Mills et
Leigh Gallagher ont créé un monstre narratif à la densité impressionnante, souffrant de maladresses visuelles et structurelles. de l'autre, ils emmènent le lecteur dans un monde pleinement réalisé, pour un divertissement intelligent à base de massacre basique de zombies, et de politique fiction sophistiquée en arrière plan. Heureusement quelques pointes d'humour permettent de faire passer les moments indigestes (que ce soit l'étrange slogan "Baebe magnette" sur une veste, "aimant à poulettes") ou Mendigo déclarant "Your country needs gong" (Ton pays a besoin de ton urine), l'index pointé comme l'Oncle Sam sur les affiches pendant la seconde guerre mondiale.