L'enfer a ses bourreaux, ses victimes aussi... Et parfois les deux se confondent.
Une enquête criminelle, c'était le job le plus complexe et le plus exigeant qui soit ; un avocat rusé ou un magistrat indélicat pouvaient ruiner en un clin d'œil des mois d'efforts et, comme si ça ne suffisait pas, on multipliait les obstacles, les empêchements. Résultat, les statistiques étaient sans ambiguïté : les trafics explosaient, le taux d'homicides était le plus élevé d'Europe, deux fois supérieur à ceux de l'Espagne, de l'Allemagne et même de l'Italie voisines, n'en déplaise à "Gomorra".
Autobronzant, chevaux jaunes laqués en forme de ridicule casque à visière, sourire de requin, regard froid. On était le 27 octobre. L'élection approchait. Pas ici, mais en Amérique. Tous les sondages donnaient Trump perdant. Mais ils s'étaient largement trompés la dernière fois, non ? Trompés parce que l'époque était devenue imprévisible. Quelle est notre époque, d'ailleurs ? se demanda-t-il. Celle de l'hystérie et des bouffons. Celle du manichéisme. Celle des réseaux sociaux et de leur folie. Certainement pas celle de la raison.
Nous sommes fragiles, se dit-il. Un million de choses peuvent mal se passer d'un million de façons différentes. La santé, la paix, la concorde sont difficiles et se gagnent tous les jours. La violence, la haine et la guerre sont des états par défaut.
Il attendit que, petit à petit, l'attaque de panique s'éloigne, comme nuage noir qui a failli crever mais qui, finalement, ça va.
Celui qui demande si tu en as besoin ne donne pas de bon coeur : proverbe bulgare.
Ce pays est en train de perdre la raison. Le monde entier qui est en train de devenir fou. On a des commerces, les artisans, des milliers de petites entreprises qui risquent de mettre la clé sous la porte. On a des hôpitaux au bord de l'asphyxie et les personnels de santé qui n'en peuvent plus. On a des policiers épuisés qui sont sur tous les fronts depuis des mois, et en face des individus qui ne rêvent que de semer la discorde et le chaos.
Partout dans le pays, c'était la même rage désinhibée, le même effondrement de l'autorité. Une vraie guerre, qui avait lieu tous les jours dans la rue. Une guerre perdue d'avance tant que les flics seraient livrés à eux-mêmes, méprisés ou abandonnés à leur sort par les juges, sous-équipés, et honnis par certains de ceux qu'ils étaient censés protéger...
Epoque de virus. Punitive, mortifère, purificatrice, qui avait trouvé son symbole : le masque. Posé comme un bâillon, comme le signe de reconnaissance d’une société muselée, hygiénisée, et aussi perdue et aux abois.
Car combien étaient-ils à avoir la vie dont ils avaient rêvé dans leur jeunesse?