AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Une vache : Je ne regrette rien, l'herbe n'était même pas bonne."
(Cri n°98)

Une lecture réellement irréelle.
Non ! Plutôt réelle ?
Non, non plus.
C'est évident que ce n'est pas si évident, n'est-ce pas ? Ou pas ? le mot "réalité" doit être l'un des plus usités dans toutes les langues du monde. On croit tous savoir ce qu'il veut dire, mais quand nos réalités respectives entrent en conflit, souvent, on crie. Parfois intérieurement, ou sans même le savoir.
Les "cris" de Christina Mirjol ne sont pas forcément des exclamations de rage ou de douleur (quoique...), plutôt des situations où nos réalités se frôlent sans se rencontrer. Les mots en cages numérotées, les cris sans échos, et parfois aussi - vous verrez ! - des échos sans cris, qui pointent les situations du quotidien. Est-ce qu'une situation du quotidien vue en dehors de son contexte devient absurde, pour le spectateur ? Voilà la question...

J'ai longtemps réfléchi à quel autre écrivain me font penser ces textes de longueur variable, classés dans un livre à la couverture inhabituellement plaisante au toucher... et tout en tripotant distraitement la douceur suédine, je me suis souvenue de Daniil Harms, cet enfant terrible de la littérature russe. Ses textes vous feront rire, mais avec un frisson désagréable dans le dos : oui, ça a l'air drôle, mais quelque chose ne va pas ! C'est la même chose avec "Les cris" ; ils laissent le lecteur les interpréter par lui-même, ce qui est un agréable rafraîchissement par rapport aux histoires en kit livrées avec un mode d'emploi. Ils nécessitent un peu de concentration, comme si vous suiviez un sketch ou une mini-pièce de théâtre absurde.
J'ai vu parfois cité "En attendant Godot", en rapport avec ce recueil... pourquoi pas.
Vous lisez donc "Les cris" (ou Beckett, Havel, Pinter... peu importe) pendant votre pause du midi, autour de vous les conversations vont bon train, et tout d'un coup elles commencent à se superposer avec les mots dans le livre. Les mots pareillement insignifiants, futiles et sans importance, pour tromper l'ennui. Vous vous sentez subitement comme un protagoniste du livre... Tout se mélange, l'un raconte quelque chose, l'autre fait semblant d'écouter mais ne l'écoute pas, ce qui ne l'empêche pas de répondre. C'est à la fois grotesque et tragique.
On apprend sur la quatrième de couverture que certains de ces textes étaient effectivement adaptés pour la scène, et je n'arrive pas à imaginer comment j'aurais réagi. C'est assez angoissant, somme toute, quand vous ne savez pas s'il faut en rire ou en pleurer ; même en ce qui concerne ce génial leitmotiv de l'homme au paillasson qui chemine entre les textes.
Et pourquoi, grands dieux, on qualifiait alors ce théâtre d'"absurde" ?, vais-je me demander probablement le jour de mon 126ème anniversaire.

"Une imbécile [du siècle dernier] : Je suis larguée, je ne comprends pas, ils parlent avec des mots. Ils disent : ECHAPPE. Ils disent MENU. RENTRER. SORTIR. Ca veut dire quoi ? Ils disent : SORS DU MENU. RENTRE DANS LE FICHIER. FAIS ECHAPPE. Je ne comprends pas."

Pour le peu que j'ai pu lire de Christina Mirjol, le cri semble être une métaphore qu'on trouve souvent dans ses livres. Un "cri" comme une situation qu'on voit partout autour de nous, qui est là dès le matin au réveil, jusqu'au soir quand on regarde les infos à la télé avant d'aller au lit. le cri est un memento, le dernier stade d'un visage humain, qu'on a pris l'habitude de banaliser... D'où ce livre tragicomique. Son absurdité n'est pas une absurdité pour elle-même, elle exprime quelque chose de triste et d'insaisissable - les sensations d'impuissance, d'ennui ou de détresse - qui font partie de nos vies à nous tous.
Mention spéciale pour l'élégante construction du livre : les textes à la première vue indépendants se chevauchent, se complètent, se répètent (d'un autre point de vue) et le personnage de "l'écrivain" entre parfois en jeu, pour y mettre son grain de sel. Leur nombre, 199, insinue peut-être qu'on n'a pas fini de crier, et donne envie d'arrondir le compte par votre propre contribution.
4,5/5. Un inventaire sonore que j'ai découvert avec curiosité et plaisir, merci Christina !
Commenter  J’apprécie          685



Ont apprécié cette critique (68)voir plus




{* *}