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Critique de Alzie


Modiano jeune homme timide et culotté décide d'en découdre avec le passé (en particulier avec celui très opaque de son père) et passe à l'acte d'écriture avec cette espèce d'autobiograhie fictive, dérangeante, foutraque et improbable où le personnage principal du livre, Schlemilovitch, annonçant vouloir régler ses comptes à « la question juive» endosse en jubilant toutes les caricatures connues du juif jusqu'à devenir plus antisémite que le pire des antisémites. Brisant un tabou Schlemilovitch embarque une partition cacophonique, provocatrice et transgressive au style pour le moins éructant. Monstrueuse, cynique et fantasmée. Conduite peut-être désespérément et à contre temps lorsqu'elle est publiée. Juif cosmopolite à la ville voilà ledit Schlemilovitch qui fournit des faux-papiers juifs (oui je dis bien juifs) à "Des Essarts" pour lui permettre de réintégrer la France ! « Je suis partout » pourrait dire Schlemilovitch, c'est à dire nulle part ni d'un côté ni de l'autre, souvent du pire, et jamais où on l'attend. C'est comme ça qu'il s'en sort, entre dérision et singeries, explorant les joies du terroir façon Barrès /Pétain et celles du proxénétisme en province, se gardant toutefois de tout égarement militariste malencontreux (Alfred D.) comme de certain snobisme maniéré (Marcel P.). Dans le rôle du juif oriental en costumes chatoyants ridicules devinez qui ? Son père... Après s'en être pris au docteur Bardamu et avoir fait une série de rencontres historiques extravagantes Schlemilovitch part à Lausanne, revient à Paris et de la pure Savoie à la verte Normandie fait une étape mauriacienne dans le bordelais, entreprend un pèlerinage Viennois, avant un final au kibboutz et dans une boîte de Tel Aviv... Un délire qui fatigue. Schlemilovitch embête et inquiète tout autant.

Le tout est brodé dans les « finesses » d'un antisémitisme « à la française » hyper documenté, comme un retour du refoulé, en compagnie de ses thuriféraires les plus accomplis pèle-mêlant des figures tutélaires ou accessoires et oubliées de la vie intellectuelle, littéraire et politique, des damnés de l'Histoire et des personnages fictifs ou hybrides. C'est un mauvais rêve dont on voudrait sortir. La Grande revue des fantômes de l'avant-guerre et de l'Occupation représentants toutes catégories de ce "passé qui ne passe pas" dont Modiano est peut-être l'un des meilleur "expert", le bottin du vichysme, du nazisme. Des noms pour la plupart oubliés : chefs de gouvernement, ministres, magistrats, journalistes, directeurs de journaux, critiques littéraires, écrivains, illustrateurs, caricaturistes etc… antidreyfusards, camelots du roi, partisans de l'A.F. et de la pensée maurrassienne, miliciens, collabos refleurissent tel un bouquet vénéneux sous la plume d'un jeune type qui aurait préféré ne pas avoir à les fréquenter. « Ils espéraient un nouveau Marcel Proust, un youtre dégrossi au contact de leur culture, une musique douce, mais ils ont été assourdis par des tams-tams menaçants. Maintenant ils savent à quoi s'en tenir sur mon compte. Je peux mourir tranquille. » (p. 50). La Place de l'Etoile fait l'impression, avec le recul et après relecture, d'un défi de l'auteur et d'un pavé jeté en travers de la mémoire française. Honoré après sa sortie du prix Roger Nimier le 22 mai 1968 (Un épisode haut en couleur épatamment rapporté par Pauline Dreyfus dans le Déjeuner des barricades, 2017), c'est l'irruption pour le moins osée et risquée mais réussie sur la scène littéraire d'un jeune écrivain qui s'est imposé depuis cette catharsis qui le conduira plus tard vers Dora Bruder.




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