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Critique de Nastasia-B


C'est terrible quand la légende, quand la vie rêvée de quelqu'un dont on aimerait faire une idole, se voit contredite, mise à mal, voire mise en pièces par les éléments patents de la réalité. Plus j'explore les arcanes sombres des archives théâtrales, plus je vogue dans l'histoire dramatique mondiale, plus je lis à droite et à gauche, et plus je découvre de petits faits qui viennent entacher la belle aura de mon Molière.
Dès le collège, j'ai rencontré Molière et ai de suite aimé, emportée par son ton, sa plume, son traitement scénique.
J'ai adoré le Bourgeois Gentilhomme puis vint le moment, peu de temps après, de ma rencontre avec Les Fourberies de Scapin.
Je crois que j'avais encore mieux aimé cette dernière, j'avais fait des pieds et des mains pour que nous montions la pièce avec notre prof de français qui s'était laissée vaincre par mes élans d'enthousiasme, si rares (déjà pour l'époque nous disait-elle) chez les collégiens moyens que nous étions.
J'ai relu récemment un certain nombre de pièces de Molière ; certaines m'ayant fort déçues, d'autres, c'est le cas du Malade Imaginaire ou des Fourberies de Scapin, ayant tenu toutes leurs promesses.
Me voilà rassurée, le talent de mon idole du collège n'a pas tant terni que cela. Mais dans le même temps, je découvre beaucoup de pièces antiques, de Plaute ou Térence, notamment, je lis des auteurs français moins connus du XVIIème siècle et là, je me rends compte, que beaucoup de ce que je crois être du Molière est un repompage quasi intégral d'autres auteurs. Je me rends compte également que nombreuses sont les thèses de doctorat, les études, les critiques et les analyses sur la paternité réelle de Molière sur « ses » pièces.
Les bras m'en tombent, il faut que j'aille voir ça moi-même. Pas Scapin, tout de même, pas lui que j'aime tant, non, ce n'est pas possible à la fin !
Et si, ma grande, encore une désillusion, encore un mensonge dans la liste si longue des histoires qui te répugnent et que tu ne voudrais pas connaître...
L'ossature des Fourberies est en fait la pièce de Térence intitulée Phormion. le traitement de la pièce est une recopie intégrale des fameuses farces de la Commedia Dell'Arte. Et enfin, le coup de grâce, la scène, non !, pas la scène, LA scène, le fameux « Mais que diable allait-il faire dans cette galère ! », même celle-là n'est pas de lui. C'est un authentique plagiat de Cyrano de Bergerac dans sa pièce le Pédant Joué de 1654.
Le talent de Molière ne serait-il que d'être un génial compilateur ? Aïe ! que j'ai mal à ma légende, que son image se brise et s'effrite ! Sans compter que l'analyse académique très pointue réalisée en 2008 sur le lexique de sa pièce en vers le Tartuffe révèle avec une quasi certitude qu'elle aurait été écrite par Corneille, et PAN ! encore une vitrine qui s'effondre.
Je découvre que dès l'époque on lui reproche ses plagiats et que c'est même la principale critique à son talent, tant d'écrivain que d'acteur que de metteur en scène (de nos jours il ne nous reste que les textes, mais il semble bien que sur le jeu d'acteur, les costumes et la mise en scène, c'était pareil). On lui reproche de copier tout ce qui marche ou qui a du succès et de le faire sien puis de se l'attribuer en propre.
Aïe ! ma légende, que je souffre tout d'un coup à vouloir te conserver. Il me reste soit le choix de te piétiner, soit celui de fermer mes écoutilles et de ne rien entendre, de continuer à te vénérer comme dans n'importe quelle croyance divine quelles que soient les preuves matérielles irréfutables. Je ne sais encore que choisir. Et la langue de Molière, alors ? Ne parlerais-je que le tissu plagiaire d'une bordée d'anonymes ?! C'est bien possible.
Ah ! Les Fourberies de Poquelin ! Un faquin ce Molière, en somme. On sait qu'il aurait beaucoup souhaité s'adonner au drame satyrique, voire à la tragédie plutôt qu'à la comédie. Et il est vrai que sa soif d'exprimer des messages sociaux ou politiques forts fut parfois muselée tant par la férule du roi soleil et de sa cour que par le style auquel il fut, un peu contre son gré, cantonné. Est-ce la raison intime pour laquelle Molière se serait adonné ainsi à la comédie, en faisant "ce qu'on lui demande" ou bien "ce qui marche auprès du public" et en s'y investissant personnellement assez peu pour ne pas répugner de voler de la matière à d'autres ? C'est ce que j'ai envie de croire. On a du mal à se figurer le réseau de contraintes qui s'exerçaient sur un artiste tel que lui à l'époque et c'est l'excuse que je veux lui donner.

Pourtant il faut bien que je vous parle de cette pièce. Ici, on peut dire que Molière fait si bien ce pourquoi on l'attend, réalise une pièce si réussie de bout en bout que cette comédie est devenue un archétype, que dis-je, LA comédie par excellence. Pas de message fort, pas de grande dénonciation (même si l'on voit poindre deci-delà des piques envers qui vous savez), par contre, un jeu scénique réglé au millimètre (même si le millimètre n'existait pas encore !), des gags et des dialogues qui font mouche, notamment, la fameuse scène 7 de l'acte II entre Géronte et Scapin et sa sublime récurrence « Que diable allait-il faire dans cette galère ? » qui est passée dans le langage courant (et ça, c'est bien à Molière qu'on le doit et non à Cyrano de Bergerac).
J'oserais presque, si vous me le permettiez, tenter une comparaison entre Molière et René Goscinny, qui lui aussi aurait tant souhaité se faire remarquer autrement que par des sujets légers et qui lui aussi nous a légué de ces récurrences géniales du genre : « les derniers irréductibles », « être tombé dedans quand on était petit », « vouloir être calife à la place du calife », « tirer plus vite que son ombre », etc., etc. En somme, la prochaine fois que vous direz « Pouah ! quelle galère ! », sachez que Monsieur Molière y est peut-être pour quelque chose, même s'il n'en est pas le géniteur véritable et authentifié.
L'histoire, c'est à peine si j'ose tellement elle est connue de tous. Deux fils de bourgeois tombés amoureux, contre la volonté de leur père avare respectif, de deux filles belles comme l'aube mais dont le mariage est impossible. Par l'entremise de Scapin et de sa roublardise, il faudra arriver à arranger tout ça et, si possible, rogner quelques écus au passage aux deux vieux radins. Tout s'arrangera bien vraisemblablement, mais au fait, j'y pense, qui sont-elles ces deux beautés féminines ?
Et malgré tout ce que j'ai écrit plus haut, malgré toutes les limitations qu'on peut faire, quel bonheur quand Molière fait s'agiter les personnages autour de nous comme une volée de moineaux en cage, c'est drôle, c'est plaisant, c'est vivant, c'est du grand théâtre et ça se mange sans faim, du moins c'est mon avis, mon tout petit avis, plus petit et piteux aujourd'hui que jamais, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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