Citations sur Essais, tome 1 (208)
La force et les nerfs ne s'empruntent point ; les atours et le manteau s'empruntent.
L'intelligence qui nous a esté donnée pour notre plus grand bien, l'employerons-nous à nostre ruine, combatans le dessein de nature, et l'universel ordre des choses, qui porte que chacun use de ses utils (outils) et moyens pour sa commodité ?
"Que le goust des biens et des maux dépend en bonne partie de l'opinion que nous en avons", chapitre XIV, page 53.
Et qui se cognoist, ne prend plus l'estranger faict pour le sien ; s'aime et se cultive avant toute autre chose ; refuse les occupations superflues et les pensées et propositions inutiles.
Chapitre III - Nos affections s'emportent au-delà de nous
Nous sommes mieux en la compagnie d'un chien cognu qu'en celle d'un homme duquel le langage nous est inconnu. (D'après Saint-Augustin)
Chapitre IX - Des Menteurs.
[Le style et la pensée]
... C'est aux paroles à servir et à suivre, et que le gascon y arrive, si le français n'y peut aller. Je veux que les choses surmontent, et qu'elles remplissent de façon l'imagination de celui qui écoute, qu'il n'ait aucune souvenance des mots. Le parler que j'aime, c'est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu'à la bouche ; un parler succulent et nerveux, court et serré, non tant délicat et peigné, comme véhément et brusque ("Seul vaudra le style qui frappera", Vita Lucani). Plutôt difficile qu'ennuyeux, éloigné d'affectation, déréglé, décousu et hardi ; chaque lopin y fasse son corps [que chaque morceau se suffise à lui-même] ; non pédantesque, non fratesque, non plaideresque, mais plutôt soldatesque, comme Suétone appelle celui de Jules César.
I-25, "De l'institution des enfants", p. 265.
Le longtemps vivre et le peu de temps vivre est rendu tout un par la mort. Car le long et le court n'est point aux choses qui ne sont plus.
« Au lecteur
C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit dès l'entrée que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ai voué à la commodité particulière de mes parents et amis : à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, ce que par ce moyen ils nourrissent plus entière et plus vive la connaissance qu'ils ont eu de moi. Si c'eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me présenterais en une marche étudiée. Je veut qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c'est moi que je peins. Mes défauts s'y liront au vif, et ma forme naïve, autant que la révérence publique me l'a permis. Que si j'eusse été entre ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n'est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain : adieu donc.
De Montaigne, ce premier de mars mille cinq cent quatre-vingt. »
66 – [Le Livre de poche n° 1393, p. I]
[La grammaire et la philosophie à l'école]
Ce sont là préceptes épineux et mal plaisants, et des mots vains et décharnés, où il n'y a point de prise, rien qui vous éveille l'esprit ; en cette-ci [la philosophie] l'âme trouve où mordre, où se paître. Ce fruit est plus grand sans comparaison, et si sera plus tôt mûri. C'est grand cas [chose étonnante] que les choses en soient là en notre siècle, que la philosophie soit jusques aux gens d'entendement, un nom vain et fantastique, qui se trouve de nul usage, et de nul prix par opinion et par effet. Je crois que les ergotismes [raisonnements trop subtils] en sont cause, qui ont saisi ses avenues. On a grand tort de la peindre inaccessible aux enfants, et d'un visage renfrogné, sourcilleux et terrible : qui me l'a masquée de ce visage pâle et hideux ? Il n'est rien plus gai, plus gaillard, plus enjoué, et à peu que je ne dise folâtre. Elle ne prêche que fête et bon temps : une mine triste et transie montre que ce n'est pas là son gîte.
I-25, De l'institution des enfants, p. 246
De toutes les rêveries du monde, la plus reçue et plus universelle est le soin de la réputation et de la gloire.
C'est, respondit-il, que ce seul dernier déplaisir se peut signifier par larmes, les deux premiers surpassans de bien loin tout moyen de se pouvoir exprimer.
Chapitre II - De la Tristesse