"Il faut douter de tout, Galeran, c'est vous qui me l'avez appris.
On approchait de la grande marée d’équinoxe. Depuis plusieurs jours, une terrible tempête faisait rage sur les côtes normandes. Le vent de nordet glaçait les grèves. Les vagues furieuses s’engouffraient dans les estuaires, attaquaient les falaises, inondaient les douves et les basses plaines.
Par milliers, les mouettes dérivaient en silence vers l’intérieur des terres. Les bancs de poissons, les phoques, les grands souffleurs quittaient la haute mer et refluaient vers les eaux encore tièdes des rivages et de l’embouchure de la Seine...
Ce matin de septembre 1145, par temps clair, deux guetteurs qui contemplaient d’un air morose l’étendue scintillante du fleuve, virent soudain jaillir de l’eau une colonne de vapeur blanche qui retombait en fines gouttelettes huileuses…
C’était un souffleur de grande taille qui venait de faire surface en amont de Caudebec.
"- Baloena ! Baloena !" Aux cris stridents des guetteurs répondirent aussitôt les sonneries rauques des cors qui se propagèrent de loin en loin au-dessus de la forêt jusqu’à l’abbaye de Jumièges où les cloches se mirent en branle, appelant moines et paysans à quitter leur travail et à courir vers le fleuve.
-Ne me dis pas que tu es jaloux,Ronan!
-Morbleu non! rétorqua le troubadour avec aigreur.Il y a bien longtemps que je sais que la jeunesse va à la jeunesse,et que Dieu et les femmes préfèrent les cadets...petit frère!
"Pénitents ou hommes de foi, coupables ou non coupables, fils de l'enfer ou enfants du ciel,qui le sait?" songeait le vieil Humbert en contemplant tous ces visages rendus tragiques par l'extrême fatigue.
Il est caché au milieu des pénitents, et quelle meilleure cachette que ce peuple désarmé qui marche vers la Galice! Seulement comment le retrouver?Les seuls indices qu'il laisse sont, pour l'instant, ces cadavres qui jalonnent les étapes.