Dehors, le temps se gâtait, et les longues ombres des nuages traversaient le vallon, poussées par le vent comme un troupeau; les montagnes étaient déjà obscures et l'air résonnait de cet écho lointain qui précède parfois l'averse.
Saponara se perdit à nouveau, pensant à combien il serait beau de vivre seul dans une forêt, dans un ermitage ignoré de tous, et de se nourrir de baies et de quelques bêtes qu'il aurait élevées, et de s'ensauvager dans l'ombre pérenne, dans le silence de la sylve, dans l'éternel chapelets de jours, mois et saisons monotones, à l'instar de certains vieillards solitaires de ces vallées qui quittaient la civilisation et désapprenaient à parler.
Vous autres de la ville, dire qu'il n'y a plus de saisons ça vous suffit, vous croyez qu'avec ça vous vous êtes remué les méninges. (...) Mais c'est facile, trop facile. Nous autres, on a toujours vécu au rythme des saisons, et on s'est aperçus que ce n'est pas qu'il n'y a plus de saisons : au contraire, il y en a trop, entassées les unes aux autres, elles se relaient à toute allure, comme si c'était des mois ou des semaines. (...) Il y a trop de saisons, c'est ça le problème, trop de saisons toutes mélangées.
Les pluies de l'automne avaient lustré les pierres, et la rivière grossie par les pluies les déplaçait ici et là comme si elle jouait aux dames.
Parfois, nous parviennent des sommets des montagnes des rayons intenses qui nous obligent à détourner les yeux. C'est le soleil qui, reflété par l'âme métallique des roches, se projette jusque dans nos maisons.
Si on y prête attention, combien de sons, qui le jour nous semblent familiers, se chargent la nuit d'échos mystérieux.
Il fut alors saisi d'une envie d'escapade à la mer, au chaud, d'une envie de sommeiller à demi nu sur une plage, sur une quantité infinie de sable, en l'absence du moindre souffle de vent, et même de lire un livre sot, ou de se tacher avec une glace, de toute façon, à la mer, personne ne se connaît.
Pourtant, des vallées comme comme ça, il y en a par ici, des vallées solides que même les avalanches les plus terribles ne font pas bouger, que les torrents en crue rincent à peine et où les arbres ont l'air d'être en pierre eux aussi, leurs racines plantées dans le granit ne laissent pas une motte de terre glisser, ils retiennent tout, même le superflu, tous les débris moisis des forêts, comme s'ils s'en faisaient un point d'honneur.
On dit que croire à la méchanceté des hommes est toujours plus rassurant que de soupçonner l'absence d'explication.