Les Pierres de
Claudio Morandini est un récit hors du temps, un conte où la narration est une force véritable, happant le lecteur dans une électrisation des sens, une chute vers un horizon lointain d'une histoire fantastique.
Claudio Morandini est un auteur italien, peu connu en France, seulement deux romans traduits, le premier
le chien, la neige, un pied aux Éditeur l'Anacharsis en 2017 et ce dernier
Les Pierres en 2019, ces deux romans ont en commun cette montage, et surtout cette écriture de l'étrange.
Le narrateur de cette fable sous les mots de
Claudio Morandini résume à jamais ce roman par cette phrase ;
« Bon, voilà, j'ai appris une chose de la maitresse : le goût pour les histoires racontées avec soin, sans se presser, et sans vouloir quelque chose à tout prix. »
Narrer comme une fable au coin du feu sous une nuit étoilée, un conte orale aspirant le lecteur dans les méandres de son passé, devenant l'enfant ensorcelé par les paroles du conteur d'histoire, l'intrigue s'invite avec cette magie enfantine et envoutante, emprisonnant le temps dans une distorsion fantastique, une bulle figeant ces deux villages dans une absurdité inexplicable.
Un village double, l'un dans la vallée, l'autre dans les alpages pour la transhumance, Sostigno et Testagno, une bourgade tranquille, loin de tout, isolé de la ville et de la modernité, les habitants vivent aux rythmes de la nature, les traditions et les vieilles histoires sont le lot quotidien de ces villageois. Ce lieu devient le théâtre malicieux de phénomène extranaturel où
les pierres sont des électrons libres gravitant de mouvances, petit à petit les rumeurs se murmurent de bouche à oreille, les petites histoires passées refont surfaces, le narrateur s'amusent de ces anecdotes pour parfaire cette fable ancienne, entre rire et étrangeté, comme une légende accrochée dans les vestiges du passé.
Au-delà de l'histoire de ce roman,
Claudio Morandini perce le malaise de la campagne, de cette ruralité en berne d'une société urbaine, dévoreuse d'âmes.
« C'est le drame de la montagne. La vie est rude, les gens partent à la ville, les jeunes n'ont pas envie de passer leur vie derrière les bêtes, ils préfèrent un diplôme. C'est pareil partout. Vous avez vu un peu tous les villages abandonnés, en ce moment ? »
De cette petite satire amusante, se cache une dualité sourde, la modernité de notre époque face à une vie simple, comme celle de ce village, en proie à ces phénomènes. Aux doutes de ces villageois, s'invitent les curieux de toutes sortes, comme peu le dire le narrateur, nous en parlerons plus tard, attisant encore plus la curiosité de cette trouble intrigue villageoise. Les phénomènes dans cette vallée sont courants, comme le lit de la rivière se déplaçant au gré de son humeur, capricieuse.
Les Pierres ont une existence curieuses dans cette vallée, hantant la maison d'un couple de citadin ayant choisi de vivre leur retraite dans ce paisible village, déclenchant des avalanches, tuant un troupeau de vaches, un jeune garçon incrédule du nom de Ruggero, grossissantes, étant présentes dans cette région comme des êtres vivants, les enfants jouant à des courses de Pierres s'étalant sur plusieurs décennies, ces pierres avançant doucement pour franchir la ligne d'arrivée seules, ces enfants devenus adultes, oubliant cette course surnaturelle.
L'être humain, derrière ses Pierres mystérieuses est à travers
Claudio Morandini une étude de moeurs de ce peuple rurale perdue dans un interstice, entre ce prêtre Don Danilo égaré dans les strates d'une religion chrétienne manichéenne, entre l'éden et l'enfer, les forces du mal étant ces Pierres oeuvre d'un couple, les Saponara, lors de son sermon les fustigeant en place public comme des parias, comme quelques années au pare avant, citant les noms de plusieurs couples adultères. Ce couple citadin persécuté par ces pierres s'amassant dans leur salon, devenant de leur passé des personnes différentes, les isolants de ces autochtones, étant et devenant immigrés de cette tribut. Lui, Ettore, aimant regarder par la fenêtre, regarder le temps qui passe, solitaire de cette vie, réfractaire malgré lui de ce mode de vie rurale et petit à petit au fil de leur angoisse, de ces pierres persécutrices, ira vers ces habitants pour rompre ce clivage installé de leur statut sociale et surtout de cette malédiction des pierres, elle, Agnese, une institutrice vieillissante, perdant le goût de l'instruction, au fil des événements, s'enfermant dans un mutisme, dévoilant son infidélité par peur de ces pierres, ce couple partira vivre loin des cailloux, cherchant la tranquillité d'une nature plate sans montagne et autre forme de pierres. Les curieux s'entassent dans cette villa de l'étrange, les sorciers, les scientifiques, les gourous, les illuminés, les sceptiques et tant d'autres.
Dans cette vallée, c'est presque le désert, un petit restaurant et une boutique se battent dans cette pauvreté rurale, la presse locale, deux gazettes antagonistes luttent avec beaucoup d'amusement pour le lecteur, à s'opposer l'une à l'autre, une bataille de cours d'école, surtout lorsque ce petit village est en proie à ce phénomène de pierres dans la Villa des Saponara, il y aura même des soupes de pierres, des pierres décorées, des séjours pour citadins en manque de sensations, mais tout va demeurer à laisser ce village dans sa morosité, les enfants jouant dans la rue, les adultes cultivant, transhumant plusieurs fois par ans à cause des pierres, du torrent, ce petit monde rural, vestige d'un monde perdu, seulement quelque irréductible s'y accroche comme le narrateur, cet enfant devenu adulte, habitant encore ce modeste village de maison de bois, et cette fin ironique du journaliste partant du village en boitant, emportant avec lui du gravier s'étant glissé dans ses chaussures.
Comme pour prolonger l'intrique au-delà de l'imagination du lecteur, l'Apostille de
Claudio Morandini invite le lecteur à une curiosité maladive, et, surtout à s'interroger sur ce petite village.
Les pierres est un roman fantastique à la satire féroce, une belle lecture savoureuse.