Je sais qui l'a tué

Avant d’entrer dans la police, j’ai obtenu un diplôme en psychologie avant de poursuivre avec un doctorat en psychologie comportementale. Quand j’ai commencé, je m’imaginais devenir profileur, étudiant des scènes de crimes avant de proposer des hypothèses brillantes sur l’assassin, comme une sorte de devin. Mes études ont assez rapidement mis à mal ces ambitions : les choses ne fonctionnent tout simplement pas ainsi dans la vraie vie. Bien que l’on puisse trouver des traces d’un individu et de son passé dans les atrocités qu’il commet, j’ai appris assez tôt que les profils psychologiques sont à peu près aussi fiables qu’un horoscope.

On sentait toujours l’alcool sur une personne qui avait assez bu pour se retrouver dans cet état. Ça ressortait forcément par les pores de la peau. Or, ce n’était pas son cas. Il inspira et remarqua le parfum des fruits et une très légère odeur de désinfectant, mais rien de plus.

L’existence heureuse que j’ai aujourd’hui est une structure bâtie sur cette tragédie et si on la retire du tableau, on me retire moi aussi. Malgré tout mon amour pour elle, si on m’offrait l’occasion de remonter le temps – de faire en sorte que Lise survive à cette soirée et que ma vie devienne tout autre chose –, la saisirais-je ? C’est impossible, bien sûr, ce qui rend la question très facile à ignorer. En fin de compte, quel que soit le carrefour où vous vous trouvez, votre destin ne peut suivre qu’une seule voie. Vous ne pouvez pas revenir en arrière et les proches qui vous sont arrachés disparaissent pour toujours.

J’ai réessayé de nager comme un désespéré. D’un instant à l’autre, la mer était passée de paisible et plate à démontée et dangereuse. Tout était allé si vite, comme le soleil qui se retrouve masqué par un nuage. J’ai entendu Lise crier assez loin de moi et puis une vague m’a envoyé vers le fond. J’ai émergé en m’étouffant. Je ne voyais plus la plage distinctement à cause de l’eau que j’avais dans les yeux et elle semblait être au-dessus de ma tête, comme si elle se trouvait au sommet d’une falaise. Et puis j’ai coulé de nouveau.

Nous étions jeunes et amoureux, et nous ne pouvions nous empêcher de nous toucher tout le temps. Nous sommes entrés dans l’eau et nous nous sommes laissé porter par les vagues. Quand le courant nous poussait l’un vers l’autre, nous nous embrassions. Quand il nous séparait, nous nous prenions par la main, nous laissions nos jambes remonter à la surface, puis nous faisions la planche en contemplant le soleil couchant qui transformait chaque goutte en perle brûlante. C’était si beau.

C’est étrange de se pencher aujourd’hui sur ce qui s’est passé. Tout m’avait paru si intense à l’époque – chaque son et chaque vision si vifs et indélébiles, chaque mouvement si net et amplifié – que je n’aurais jamais cru qu’un jour j’oublierais, que j’aurais une nouvelle vie dans une autre ville. Un boulot dans une brigade de police respectée. Une relation avec une femme que j’aime plus que je ne pourrais le décrire. À l’époque, il aurait été impossible d’imaginer que ce temps-là serait un jour si lointain.

Ça doit leur paraître étrange, que je sois aussi calme.
Peut-être le trouvaient-ils courageux et stoïque au vu des circonstances ou bien ils se disaient qu’il rassemblait toutes ses forces et sa détermination pour affronter l’horreur qui l’attendait. Mais il ne se sentait ni fort, ni courageux et si les deux dernières années lui avaient bien appris quelque chose, c’était qu’un calme apparent n’avait aucun sens. Le calme ne vous annonçait rien de ce qui allait se produire ensuite. Avant d’exploser, une bombe est calme.