Le mystere de l'esprit

Publié en 1981, quelques mois avant le Mahasamadhi de Swami Muktananda, ce petit livre de 30 pages, est de ceux qui peuvent changer le cours d'une vie, pour peu qu'il soit étudié et pratiqué avec soin. On tirera toujours grand profit à le lire et le relire et ce faisant à se relier à un maître spirituel exceptionnel. Baba, comme l'appelait ses disciples, remarque en introduction que les milliers de pages des grands textes indiens parlent essentiellement de techniques pour calmer le mental, plutôt que d'atteindre Dieu. Son message a d'ailleurs toujours été : « le Soi est déjà atteint, maitrisez votre esprit ».

Emaillés de citations soigneusement choisies d'Upanishads et de la Bhagavad Gita, cet ouvrage gagne à être lu en conjonction avec un merveilleux recueil d'aphorismes du Shivaïsme du Cachemire. Ces sutras tirés des Shiva Sutras, Spanda Karikas et Pratyabhijnahrdayam sont commentés par Muktananda dans : « Rien n'existe qui ne soit Shiva ». On peut aussi y ajouter une autre merveille de concision, le livre « Je suis Cela ».

L'importance du mental
En Inde, il est dit qu'à cause de l'esprit (Mana), nous sommes humains (Manavas). Chaque personne crée son monde intérieur par la force de son esprit et vit dedans. C'est le mental qui enregistre et rend intelligible l'activité des sens. Nityananda, le Guru de Muktananda, disait « As long as the mind is alive you are human, when the mind become mindless, you become God'.

Esprit et Prana
Muktananda nous dit : « L'esprit est contrôlé par le Prana. Lorsque le Prana s'arrête, l'esprit se calme. C'est parce que l'esprit et le prana sont unis que nous faisons l'expérience de la souffrance et du plaisir. Pour cette raison, un yogi capable de séparer esprit et prana va au-delà des deux ». Prana signifie ici la Force Vitale, appelée aussi Shakti, le premier mouvement de la Conscience Divine lorsqu'elle se manifeste dans la matière. Elle se matérialise dans le corps humain par le Souffle. A méditer...

Le mouvement de l'esprit
Aucune autre philosophie n'est allée aussi loin dans l'exploration des mondes intérieurs que l'Hindouisme. Les Védas distinguaient déjà il y a 3000 ans 4 composants psychiques (anthakarana) :
- Ahamkara (littéralement « je fais») qui recouvre la notion du « Je », ou ego en occident
- Buddhi (intellect supérieur, intuition, selon Baba : capacité à prendre des décisions).
- Citta (réservoir de la mémoire donc de l'inconscient, selon Baba : esprit lorsqu'il contemple),
- Mana (conscience ordinaire des choses, esprit relié aux organes de perception sensorielle, selon Baba, l'esprit lorsqu'il est rempli de pensées),

Citant les Upanishads, Muktananda place le siège de l'esprit dans le coeur. Il décrit sa nature comme la construction incessante de pensées, désirs, émotions. Contrairement à la psychologie moderne, les sages indiens pensent que la satisfaction des désirs ne les apaise pas et que les émotions ne sont que le sous-produit de pensées.

Mais quelle est la nature de l'esprit ? Selon la Mandukya Upanishad, « le Soi d'un être humain est Dieu ». Mais par le truchement du mental, le Soi interagit avec les organes de perception et d'action, donnant à l'ego l'illusion d'être l'acteur. Ainsi, Dieu se révèle instantanément à celui dont l'esprit est pur. Et cela d'autant plus facilement, que selon le Shivaïsme du Cachemire, il n'y a pas de différence entre l'esprit et la conscience suprême. Pour Swami Muktananda , en se contractant, la Conscience suprême au contact des objets devient le mental. le mental étant de la Conscience divine contractée, vouloir le maitriser sans en comprendre la nature profonde est vain.

Quant à la nature du Soi, Muktananda cite Yajnavalkya : « Dieu est le témoin de l'esprit », vivant dans l'esprit tout en en restant différent. Les Upanishads indiquent que l'esprit n'est autre que la forme, le corps du Soi. C'est pour cette raison que le mental ne peut le percevoir. Mais dès lors que l'on tourne l'esprit vers l'intérieur, il retourne à sa source et l'on fait l'expérience de sa propre divinité.

Patanjali

Muktananda extrait pour nous l'essence des Yogas Sutras, notamment le deuxième sutra (« Yogaschitta vritti nirodhaha »), soit « le Yoga est l'interruption des modifications du mental ». Patanjali ne dit pas qu'il faut supprimer le mental ni l'arrêter. le mental est une pulsation divine, ce n'est pas lui qui nous torture, ce sont les 5 types de « vrittis » (agitation), qui doivent être apaisées, bien que certains ne soient pas douloureux :
1. La connaissance juste (directe, déduite, ou tirée des textes), qui n'est pas douloureuse
2. La pensée erronée
3. L'imagination (qui soutient la pensée erronée)
4. le sommeil (qui comprend aussi l'inattention en période de veille)
5. La mémoire, secrétaire des 4 autres vrittis

Pour calmer les vrittis, Patanjali recommande :
- le détachement de ces vrittis
- Une pratique incessante
- La conscience de « Je suis Cela »
- La répétition du Mantra, en gardant à l'esprit que le mantra, son but et celui qui le répète ne font qu'un

Concentration
Pour rendre l'esprit fort et stable, Patanjali recommande la concentration (Dharana) sur un objet. Muktananda en cite plusieurs, notamment l'espace entre l'inspire et l'expire (c'est le fameux verset 21 du Vijnana Bhairava, commenté en détail dans son livre « Je suis Cela »). Mais il conclut en disant que le meilleur objet de méditation est le Soi lui-même, ou le mantra So'Ham (i.e. je suis Cela), le mantra naturel du Soi.

Muktananda ajoute un autre commentaire sur lequel on peut passer quelques années : « C'est la nature de l'esprit de devenir ce sur quoi il se repose, c'est aussi sa gloire. Quel que soit le sujet de sa contemplation, c'est ce qu'il devient. Lorsque le mental illumine quelque chose, il le devient. Pour cette raison, celui qui souhaite l'expérience du Soi devrait faire contempler le Soi à son esprit »

Suivant en cela Patanjali, qui recommande de focaliser son attention sur un être qui s'est élevé au-dessus des désirs et aversions (Yoga Sutra v I.37), Muktananda méditait sur son Guru.

Pouvoir de l'esprit
La pratique de la concentration à un niveau avancé permet de développer certains pouvoirs sur les 4 éléments.

Esprit et Conscience Divine
Cette partie évoque en une page courte mais capitale la nature ultime de l'esprit. Pour Muktananda , le mental n'est rien d'autre qu'une forme contractée de la Conscience Divine. Il cite le verset suivant comme étant une clef essentielle sur le chemin spirituel :

Pratyabhijnahrdayam verset 5 : « Citi elle-même (la Conscience Universelle), étant descendue de son état d'expansion (Cetana), devient la Conscience individuelle (Citta), en se contractant (sankocini) en conformité avec les objets perçus (cetya). »

Selon Muktananda (dans « Rien n'existe qui ne soit Shiva »), « 'ce sutra est l'essence même du chemin spirituel, il est sans prix. Si un aspirant pouvait ne comprendre que cet aphorisme et en croire la vérité, méditation et connaissance viendraient d'elles-mêmes ».

« La Nature de la Conscience (Citi) est de créer. La Conscience individuelle (Citta) crée aussi des mondes intérieurs qui naissent et meurent continuellement. Mais si Citta se déconnecte des objets extérieurs et se tourne vers l'intérieur, alors elle redevient Citi, la pure Conscience. Voilà la vraie grandeur et le vrai pouvoir de l'esprit. Lorsqu'on sait cela, on ne s'étonne plus que l'esprit ne puisse être contrôlé ou soumis par la force. L'esprit ne peut être calmé que par la compréhension et la connaissance».

La méthode de méditation qu'il recommande est de laisser l'esprit faire ce qu'il veut ' et en même temps, de voir l'esprit lui-même comme ce qu'il est réellement : de la Conscience !

Matrika Shakti
Si Patanjali explique comment les vrittis contractent l'esprit, le Shivaïsme du Cachemire décrit la nature de la force qui donne lieu à ces modifications : c'est la Matrika Shakti qui donne leur force aux concepts limitatifs qu'un être humain entretien à propos de lui-même (les 3 malas). Mais tout comme l'esprit, qui recèle en lui la pure Conscience, la Matrika Shakti peut être utilisée pour notre bénéfice, lorsque nous la regardons donner naissance aux lettres, les lettres aux mots, les mots aux phrases, les phrases aux images qui nous affectent. En remontant à la source, lorsque les activités du mental cessent, seul demeure Dieu.

Baba Muktananda conclu ce livre remarquable en évoquant Kundalini, l'énergie intérieure éveillée par la Grâce du Maître.
Lien : https://www.siddhayoga.org/