Citations sur Hors saison (14)
Depuis plusieurs jours, il avait l'impression que l'existence à la station trouvait son rythme et que, malgré l'absence de neige, l'activité démarrait , comme une vieille mécanique fatiguée et pleine de poussière dont on chauffe le moteur en préparation d'un grand voyage.
Yann se glissa dans son lit et dormit la fenêtre grande ouverte, laissant l’air frais et les bruits de la nuit le rejoindre. Les branches de sapin s’agrippaient à la gouttière dans laquelle un mince filet d’eau continuait de couler après la pluie du soir. Des ombres dansaient sur les murs et son matelas lui parut plus grand, comme si quelqu’un l’avait changé au cours de la journée. La forêt respirait à quelques mètres de lui, les troncs fléchissaient à peine sous le souffle du vent et leur écorce gercée produisait de légers craquements qui l’accompagnèrent vers le sommeil.
Aux côtés de Hans, il avait l'impression de s'ancrer, de grandir, il se nourrissait, s'emplissait de l'attention et de la tendresse qu'il lui portait, tout en sachant que ces instants étaient éphémères, une réalité fragile qui avait eu si peu de chances d'advenir.
Autour de lui, un noir profond avait pris possession des murs de la chambre et ses pupilles, contractées par la lumière vive de son appareil, mirent quelques minutes à le défaire.
"Yann voulait voir. Il voulait assister, être témoin de ce qui allait advenir, continuer à vivre, à s’imprégner, à arpenter cette station et ce recoin isolé de montagne qui, chaque jour, se vidaient, se retiraient, et s’effaçaient un peu plus du monde. Il se sentait empli d’une excitation et d’une impatience sourdes, investi d’une mission d’observateur des événements, du basculement en cours, comme un gardien de phare contemple la tempête, fasciné par l’ampleur des ravages à venir."
"Ce soir-là, après le diner, Yann emporta un plan des pistes dans sa chambre et le contempla avec l’impression qu’il y découvrirait quelque chose qu’il n’avait pas encore vu, un relief, une piste, un sentier, essayant d’évaluer les distances et se demandant de plus en plus ce qu’il pouvait bien y avoir au-delà du domaine, quand on pénétrait dans les bois."
"Plusieurs voyageurs regardaient dehors et profitaient de ce moment rare, où il n’est d’autre activité possible que la contemplation et l’observation, des moments propices aux rêveries plus intimes, où les pensées s’échappent vers des territoires qu’on n’explore plus beaucoup."
Pour Yann, qui commençait à bien le connaître, il était comme un bel arbre qui s'effeuille, rongé de l'intérieur par des parasites.
La lune était faible, seul un croissant fin commençait à émerger par-dessus les crêtes. Yann en suivit la lente ascension de son regard inhabité et son esprit hypnotisé se délesta des lambeaux sombres qui s'accrochaient encore à leui. La nuite le rendait sensible à tout ce qui s'étendait autour de lui, aux distances, à la clameur des bêtes nocturnes et aux émanations de la terre.
Ils s'accrochaient à leur contrat et à leur préavis comme des naufragés à un rocher battu par les vents et menacé par la tempête silencieuse qui s'approchait.