L’hiver à Lisbonne ressemble à ces mélopées de jazz aussi difficiles à saisir que les volutes de fumée s'échappant d'une cigarette. Certes il y a une histoire, mais il y a surtout autour de ce roman une musique qui flotte dans l'air et qui vous tourne dans la tête, une mélodie qui nous parle de la passion entre deux êtres, de leur solitude à chacun, de la musique, et du passé qui ne passe pas.
L’histoire ? ou plutôt le scénario, devrais-je dire, ou le script tant ce récit ressemble à s’y méprendre à un scénario de films noir de l’entre guerre.
Santiago Biralbao, pianiste de jazz, vit une passion pour la belle Lucrecia, sous les yeux de son ami, le narrateur témoin qui nous raconte leur histoire. Mais Lucrecia est mariée à Malcom, dit l’Américain, un type peu fréquentable et jaloux qui fait mine de ne pas voir les regards que s’échangent les amants au bar du Lady Bird de Saint Sébastien.
Biralbao joue avec Billy Swann, sans doute le plus grand trompettiste du moment, et avec Oscar le contrebassiste.
Sa passion pour Lucrecia a à peine le temps de s’épanouir que Lucrecia est obligée de s’enfuir avec Malcom direction Berlin. S’en suivra trois ans d’une course cavalcade en quête l’un de l’autre, parcourant plusieurs capitales européennes, avec en ligne de mire une destination finale : Lisbonne. Séparés par la distance, les deux amants s’écrivent pendant deux ans, jusqu’à ce que la correspondance s’arrête brutalement pour Biralbao : sa dernière lettre reviendra inconnue à cette adresse. Il n’y aura que Billy Swann pour donner une ultime lettre de Lucrecia à son pianiste : une lettre curieuse en provenance de Lisbonne, au dos d’un plan d’où brille un nom étrange, Burma. Burma et Lisboa seront les titres de morceaux qui deviendront célèbres.
Biralbao compose Lisboa et pourtant il n’a encore jamais mis les pieds dans la capitale lisboète. Mais le futur est-il forcément devant nous ? Avec Antonio Munoz Molina, rien n’est moins sûr.
Au-delà du récit digne d’un grand film de série noire, c’est toute l’atmosphère de clubs de jazz que Antonio Munoz Molina restitue à merveille. Dans cette mise en abyme provoquée par la construction sous forme de déposition – le narrateur rapporte les bribes que lui livrent Biralbao devenu Giacomo Dolphin au bar du Metropolitano de Madrid – les différentes périodes s’entrechoquent à la vitesse d’un train ou d’un tramway lancé à grande vitesse sur des rails improbables : l’époque du Lady Bird où Biralbao fait la connaissance de Lucrecia et celle du narrateur, l’époque des lettres de Berlin, et les retrouvailles au bout de trois ans au Saint Sébastien, avant la fuite à Lisbonne. Dans l’ombre de Malcom, veille un individu tout aussi peu recommandable : Toussaints Morton et son évanescente secrétaire Daphné.
Ce qui conduit Lucrecia a se sentir perpétuellement suivie et en fuite.
Mais l’autre thème de prédilection de l’auteur est la solitude des êtres malgré leur passion l’un pour l’autre. Le passé de Saint Sébastien ne revient pas, la vie les a changés et bientôt cela n’a même plus d’importance pour Biralbao. Du moins est-ce ce qu’il confie au narrateur, essayant de le convaincre qu’il était désormais au-delà de la recherche de l’amour et du bonheur.
Passion pour Lucrecia, passion pour la musique, passion pour les villes, L’hiver à Lisbonne est donc un récit haletant qui nous embarque de Saint Sébastien à Lisbonne au son d’une mélopée de jazz dont la mélodie n’a pas fini de nous hanter une fois la dernière page tournée.
Et pourtant si, Lucrecia a bel et bien existé le temps d’un récit, et nul doute qu’elle peuplera aussi vos rêves, à vous qui prendrez peut-être un jour le départ en hiver destination Lisbonne....
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