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Critique de berni_29


En ce temps-là, il écrivait toujours sur la table de la cuisine, tard dans la nuit, jusqu'au petit matin. Il s'appelait déjà Haruki Murakami. C'est toujours émouvant d'assister sous nos yeux à la naissance d'un écrivain qu'on aimera plus tard, furieusement...
Ecoute le chant du vent (suivi de) Flipper, 1973 sont ses deux premiers romans. Figurant dans un seul volume où l'auteur en explique la genèse, cela les rend à jamais indissociables, ne serait-ce que dans mon coeur.
Je suis entré de plein pied dans l'univers fantasque, un peu mystique, décalé, pour ne pas dire déjanté, de l'écrivain. Il y a comme une ambiance douce-amère qui se dégage de ces pages en partance... Tout est un peu là déjà sans l'être encore vraiment...
Le narrateur, un jeune homme,- c'est Haruki Murakami à n'en pas douter, amateur de bières, de filles, de jazz et de mélancolie...
Dans le premier roman, l'été est là avec son insouciance, la chaleur des jours qui semblent s'étirer indéfiniment.
Une main féminine apparaît innocemment , il lui manque un doigt à la main gauche. C'est peut-être un détail pour vous... Mais cette jeune fille vient se frayer un chemin dans les pas et les gestes du narrateur le temps de cet été où il ne se passe presque jamais rien.
Presque. Tout est là chez Murakami et commence presque ici pour notre joie...
Ce premier roman dit avec humilité la naissance de l'écriture, de l'inspiration, des premiers mots qu'on jette sur une page vierge. C'est une écriture inspirée du quotidien, un quotidien banal, mais pourquoi ne pas lui donner du sel ? J'ai vu émerger les thèmes, les univers, les chemins de Murakami... Déjà.
Derrière la désinvolture d'un été insouciant, la musique des Beach Boys, des bières qui coulent à flot, deux amis ici veulent devenir écrivains, rien que pour cela, même si l'un d'eux s'appelle le Rat, même s'ils fréquentent tous deux le J' Bar, on a seulement envie de les écouter.
J'ai retrouvé le Rat, cet ami rencontré lors d'un précédent récit, La course au mouton sauvage. Chez Murakami, le passé et le présent sont tels qu'ils sont, presque dérisoires. Avec le futur, il existe un « peut-être ».
Dans le second roman, nous découvrons le narrateur pris dans sa lecture de la critique de la raison pure, de Kant, tandis que son existence est bousculée par l'arrivée dans son appartement de deux jolies soeurs jumelles qui passent leurs journées au lit à faire des mots croisés et leurs nuits à se blottir tout contre lui. Il semble qu'au début, sa lecture philosophique n'en fut pas troublée.
Ne connaissant pas la portée de la critique de la raison pure, je me suis alors demandé si, moi-même, plus jeune bien sûr, me retrouvant dans une telle situation, deux jolies soeurs jumelles déboulant dans mon lit, aurais-je pour autant lâché ma lecture de cette oeuvre philosophique essentielle ?
Il y a de la tendresse dans ces deux récits, il y a de la douleur aussi qui ne dit jamais son nom.
L'ennui est un magnifique paysage, dans l'attachement aux choses simples.
La mort guette en embuscade.
L'art de Murakami, ce sont ces fausses digressions, le quotidien le plus banal, le plus ordinaire, traversé brusquement par la transgression d'un élément, d'un geste, d'une rencontre...
Quant aux jumelles... Les voir traverser ainsi sa vie, nos vies forcément de lecteur, ma vie donc... Les voir ainsi dans la lumière de l'automne... Quel bonheur !
Et puis, il n'y a que Murakami pour dire la passion pour les flippers, pour l'un d'entre eux en particulier, une passion charnelle, presque érotique, dire cette rencontre avec la machine, la bête, dire ce désir de manière touchante et échevelée...
Ces deux récits se parlent forcément, comme deux échos, évoquant l'amitié, la fraternité, jetant une tendresse infinie autour des personnages comme un halo de lumière.
Certes, ils n'ont peut-être pas encore la force tellurique de l'oeuvre qui viendra plus tard, mais ô quelles sont belles déjà les fondations.
Un puits que l'on creuse dans son esprit pour y déverser ces petits riens qui traînent dans nos pas désabusés, et là-haut tout là haut, il y a ces oiseaux par-dessus tout, dans les interstices du ciel...
Écrire pourquoi ? Écrire pour ne pas oublier.
Jamais.
Ces deux récits ont la beauté d'un jour paisible de novembre où une lumière diaphane brille sur toute chose.

Je dis ici un grand merci à ma camarade bretonne qui m'a permis de découvrir ce magnifique livre.

♫ I, I love the colorful clothes she wears
And the way the sunlight plays upon her hair ♬
♫ I hear the sound of a gentle word
On the wind that lifts her perfume through the air ♩ ♩ ♩

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